Littérature française

Carole Martinez

Dors ton sommeil de brute

ME

✒ Michel Edo

(Librairie Lucioles, Vienne)

Les hommes sont fous. Quand quelque chose ne va pas, on se tape dessus au lieu de se mettre autour d'une table et discuter de ce qui cloche. On cherche le coupable idéal, on le pend haut et court et on fait comme si rien ne s'était passé.

Chaque nuit, désormais, l'humanité vit dans la terreur du cauchemar. Tous les enfants se mettent à hurler dans leur sommeil selon un rythme qui suit l'avancée de la rotation de la planète. Puis viennent les premières catastrophes. À intervalles irréguliers, comme envoyés par un dieu courroucé, des événements cataclysmiques s'abattent sur la Terre. Pendant ce temps-là, Eva, une neurologue qui travaille depuis des années sur les implications du rêve chez les enfants, a fui Paris et un mari violent, Pierre. Elle a tout quitté avec sa fille Lucie pour vivre dans un mas de Camargue, loin du monde, loin de toute information. Cette femme qui ne voulait pas d'enfants pour se consacrer à sa carrière a tout mis de côté, guidée par son seul instinct maternel. Elle ne fait confiance ni aux institutions, ni aux hommes, ni même à ses amis. Elle a décidé de s'occuper de sa fille, de réparer ce qu'en elle son père était en train de briser par ses colères et sa perversité. Chaque jour désormais apporte son lot de joies à voir s'épanouir cette enfant dans ce coin de nature sauvage, loin des contraintes de la société. Serge, une sorte de géant bonasse et un peu inquiétant, veille sur elles deux, conscient que leur éden est une illusion et que, bientôt, il devra les mettre au courant que partout ailleurs le monde court à sa perte à une vitesse que nul n'avait imaginé. Carole Martinez reprend le genre cher à son cœur d'un fantastique qui vient s'insérer dans la trame du réel pour le souligner et l'embellir. Son récit se prend au jeu d'un onirisme salvateur où, dans une sorte de croisade inconsciente, tous les enfants du monde se sacrifient pour qu'enfin les adultes prennent conscience de la catastrophe inéluctable. Mais il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, dit-on.

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