Littérature étrangère

Le dernier western

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photo libraire

Par Michel Edo

Librairie Lucioles (Vienne)

Lorsqu'en 2008, les éditions de l'Olivier ont publié La Route, ce fut une authentique déflagration dans le monde des lettres : lauréat du prix Pulitzer, acclamé par la critique et les lecteurs, ce roman, une épure parfaite, proclamait la perfection formelle alliée à la puissance narrative.

Quinze ans plus tard et contre toute attente, Cormac McCarthy, 90 ans au compteur, fait paraître deux romans, Le Passager, en mars et Stella Maris, début mai. Ce diptyque met en scène un frère et sa sœur, Bobby et Alicia Western, dans l'Amérique des années 1970-1980. Le Passager repose sur une solide intrigue de roman noir : Bobby est un plongeur professionnel qui travaille sur toutes sortes de chantiers sous-marins. Il est appelé en pleine nuit avec un collègue sur les lieux du crash d'un jet privé dans le détroit du Mississippi. L'ambiance est glaciale, il est trois heures du matin et lorsqu’ils ouvrent la porte après l'avoir découpée au chalumeau, ils se rendent bien compte que, pour les passagers, il est trop tard depuis plusieurs jours. La mallette du commandant de bord est manquante ainsi que la boîte noire. Pour Bobby, il est certain que ce qu'ils ont vu va leur attirer des problèmes. Ce qui ne manque évidemment pas d'arriver, sous les traits d'un duo d'agents du FBI persuadés que Bobby sait quelque chose. Forcé à fuir, il déménage mais sans se résoudre à couper les ponts. Insidieusement, l'étau administratif se resserre autour de lui sans lui laisser le moindre doute sur le fait que tous ses gestes sont sous contrôle. Écartant les grands espaces qu'a longtemps affectionnés McCarthy, l'action du Passager se resserre dans des intérieurs de bars d'hôtels ou de restaurants, sous la forme de longs dialogues affûtés qui forcent l'admiration par le sens de la répartie et le sens de l'humour très particulier qu'affectionnent les personnages, tous comme leur créateur, esprits forts aussi freaks qu'indépendants. On voit ainsi en creux se dessiner la psyché d'un homme surdoué, cultivé, mathématicien talentueux, pilote ou musicien, qui a choisi une vie d'ouvrier et d'ascète. Il est à la fois habité par le fantôme de sa sœur Alicia et torturé par une culpabilité sans échappatoire liée aux travaux de son père, scientifique largement impliqué dans le « Projet Manhattan » qui a accouché de la bombe atomique. Le caractère unique du Passager repose sur le fait qu'une partie du roman se passe de nombreuses années auparavant et est constitué des dialogues schizophrènes d'Alicia, habitée par un barnum grand-guignolesque. Visions qui trouveront leur explication dans la lecture de Stella Maria, lequel est construit sous forme d'un affrontement verbal aussi drôle qu'érudit entre Alicia et son psychiatre. Autant vous le dire tout de suite, ce volume se dévore d'un trait.