Littérature étrangère

Le non du fils

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  • Erri De Luca
    Traduit de l'italien par Danièle Valin
    Gallimard
    02/03/2023
    168 p., 18 €
  • Dossier de Michel Edo
    Librairie Lucioles (Vienne)
  • Lu & conseillé par
    13 libraire(s)
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Par Michel Edo

Librairie Lucioles (Vienne)

« N'étant pas père, je suis resté nécessairement fils. » Par ces mots, Erri de Luca entame cet ouvrage où il réunit « des histoires extrêmes de parents et d'enfants », un thème devenu récurrent dans son œuvre, au même titre que ceux de la montagne et de l'engagement politique.

Erri de Luca dit commettre ses livres comme on commet un délit. S'il s'est fait écrivain, c'est par obligation, celle de raconter toutes les histoires qui se sont imprimées et qui cheminent en lui, aussi indissociables que le sont la sève et l'arbre, pour garder l'image de celui qui dit avoir planté beaucoup de graines en compensation des enfants qu'il n'a pas eus. Le Tour de l'oie évoquait cette question de la filiation à travers la voix d’un père qu'Erri de Luca aurait pu être, exprimant les doutes et les désirs d'un combattant qui n'avait vécu que pour des idées. En réponse, Grandeur nature donne la parole aux fils qui doivent se battre pour exister. Ils doivent s'émanciper, rompre violemment parfois, volontairement ou non pour se démarquer du chœur familial. Ainsi Erri de Luca évoque pêle-mêle la jeunesse napolitaine qui, à la suite de mai 68, a bruyamment coupé les ponts, pavé à la main, avec la génération précédente ; Marc Chagall qui, après avoir refusé de prendre sa suite, peint son père harassé de fatigue avec une tendresse mélancolique ; où encore Abraham menant son fils au Sinaï pour le sacrifier à la demande de son dieu. Dans ce recueil de textes, qu'il soit question de sa propre enfance (pauvre mais empreinte d'une dignité morale qui a forgé son caractère), de gamins napolitains d'après-guerre (meute sauvage refusant toute autorité) ou de la théorie balistique du pavé que les étudiants jetaient sur les policiers en 1968, Erri de Luca insuffle dans chaque texte, dans chaque phrase sa rigueur morale, son attachement sa « ré-affirmation » aux convictions forgées dans son jeune âge. Il clôt ce volume avec l'histoire de Janus Korczak, directeur d'un orphelinat du ghetto de Varsovie. Il n’était pas père mais eut 240 enfants à sa charge. En 1942, au cœur de la pire barbarie, il s'est levé en humain, en père, pour accompagner ces enfants dans la mort, jusqu'à Treblinka. Parallèlement à la sortie de Grandeur nature, les éditions Gallimard publient un Quarto des œuvres d'Erri de Luca dans la nouvelle série « Voix contemporaines » dont le premier volume sorti en fin d'année dernière était consacré à Christian Bobin. On y trouve des romans, des nouvelles, de la poésie, du théâtre et des essais, des récits et quatre textes inédits, tous les genres auquel s'est adonné l'auteur au cours d'une vie d'écriture, relatant les grands thèmes de son œuvre, l'engagement, la famille et son héritage, le poids du passé et particulièrement de la Shoah qui hante Erri de Luca.