Littérature française

Delphine Minoui

Badjens

ME

✒ Michel Edo

(Librairie Lucioles, Vienne)

« Badjens », c’est ainsi que la mère de la narratrice a renommé en secret sa fille Chiraz, non voulue, laissée pour compte, parce que femme dans un pays où seul l'homme a le droit à la parole.

Chiraz est debout sur une benne renversée, face à la police. Elle a 16 ans et toute la rage des filles de son pays. Elle s'apprête à brûler son foulard, symbole de l'oppression des femmes en Iran. Dans un long flash-back, elle revient sur toute une vie d'humiliations. Lesquelles commencent avant sa naissance, quand l'obstétricienne de l'hôpital s'excuse de révéler une fille à l'échographie. Car c'est ainsi, on chérit, on cajole les enfants mâles et l'on méprise et réduit au silence les femmes. De la même manière, on encense et on bénit les morts pour la révolution islamique et on laisse crever dans l'indifférence les vivants qui veulent un peu plus de justice. Depuis son premier souvenir, Chiraz s'est sentie mise au second plan. Pourtant, en elle, grandit le désir de s'émanciper, de montrer à son père et à la société qu'elle vaut autant sinon plus que son frère, qu'elle a autant que lui droit à la parole, au désir, à vivre en définitive. Adolescente, elle comprend que sa parole ne vaut rien, que son corps ne lui appartiendra pas et que le désir des hommes sera pour elle une tache indélébile. Une jeunesse dans ces conditions ne peut mener qu'à la révolte, et le jour où la jeune Masha Amini est assassinée par la police des mœurs, Chiraz et tous les jeunes de son âge vont déferler dans la rue pour dire leur ras-le-bol. Portés par une juste colère et soutenus sur les réseaux sociaux par les jeunesses du monde entier, ils vont défier le pouvoir du guide suprême et de ses sbires. Un briquet à la main, Chiraz n'attend que le bon moment pour montrer à la face du monde que les Iraniennes ne veulent plus se taire, plus se soumettre. Quoi qu'il arrive ensuite, cette génération se sera levée pour dire non et se battre pour sa liberté. Les récentes élections semblent montrer que leur combat n'a pas été vain.

Les autres chroniques du libraire