Littérature étrangère

Ernest J. Gaines

Le Nom du fils

ME

✒ Michel Edo

(Librairie Lucioles, Vienne)

Combien d’années faut-il à un homme pour se bâtir une réputation ? Et combien de secondes pour la réduire à néant ? Un homme peut-il, au nom du bien commun, renoncer à racheter une faute de jeunesse ? Peut-on, vingt ans après, réparer le mal que l’on a fait – volontairement ou non ?

Des années de combat et d’engagement en faveur des droits civiques ont fait de Phillip Martin le révérend noir le plus respecté d’une petite ville de Louisiane. Il est vénéré par ses ouailles. On le connaît jusqu’à Bâton-Rouge. Certains membres de la communauté blanche voient également en lui un leader politique incontournable. On est au début des années 1970, la lutte pour les droits des Noirs aux États-Unis a abouti à une égalité théorique entre tous les citoyens. Les lois Jim Crow ont été abrogées dans les États sudistes, mais Martin Luther King est mort, Malcolm X aussi, et la jeunesse noire semble ne plus avoir de porte-parole suffisamment fédérateur pour changer fondamentalement la société américaine. Le révérend Martin, lui, croit toujours en une société plus juste. Ses années de lutte ont fait de lui un homme fort, inflexible et volontaire. Il se voit comme le pilier de sa communauté. Il veut éradiquer toutes les habitudes racistes et esclavagistes qui subsistent, jugeant que chacun doit entreprendre ce qu’il peut à son niveau. Pourtant l’arrivée en ville d’un jeune homme maladif, vraisemblablement fou et armé qui se fait appeler Robert X, va fissurer d’un coup l’armure qu’il s’était forgée. Du passé ressurgissent les fantômes intimes qu’il était jusque-là parvenu à tenir à l’écart. Cet homme sans faille se retrouve dès lors en proie au doute et à la culpabilité. En une nuit il décide de jouer sa respectabilité, son mariage, sa parole politique, pour retrouver un nom, et l’homme en mesure de le lui donner. Le Nom du fils est un roman noir mêlant le parcours intime d’un homme et le discours politique de Gaines, qui ne cache rien ici de son opposition à la guerre du Vietnam et porte un regard lucide sur les luttes de pouvoir stériles entre factions et entre générations, si nuisibles au seul combat qui vaille la peine d’être mené.

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