Littérature étrangère

Ahmet Altan

Madame Hayat

✒ Alexandra Villon

(Librairie La Madeleine, Lyon)

Libéré en avril après plus de quatre ans d’emprisonnement, qu’il raconte avec force dans Je ne reverrai plus le monde, Textes de prison (Actes Sud et Babel), Ahmet Altan questionne la liberté dans ce texte sublime écrit en captivité.

Dans un pays qui n’est jamais nommé mais qu’on imagine très bien pouvoir être la Turquie d’aujourd’hui, où la répression d’un gouvernement autoritaire sévit dangereusement, vit Fazil, jeune étudiant qui réapprend à vivre comme un « pauvre » alors que sa famille, autrefois aisée, a été ruinée suite à des décisions arbitraires du régime. Fazil vit dans une petite pension, suit des cours de littérature à la fac et gagne un peu d’argent le soir en étant figurant sur le plateau de tournage d’une émission de télé. C’est lors d’une de ces soirées que le jeune homme curieux, naïf et un peu empoté va faire la connaissance d’une femme incroyable d’une cinquantaine d’années, voluptueuse en diable, aimant le sexe, la bonne chair et les documentaires : Madame Hayat. Sitôt accueilli dans le lit de cette femme vibrante de désinvolture et lové entre ses plis, Fazil va faire l’apprentissage touchant d’un amour débordant de désir et de liberté, celui de la jalousie, mais aussi celui du courage, au sein d’un pays où vivre libre et libérer sa parole revient à signer son arrêt de mort. À la manière d’un conte à la résonance universelle, le nouveau roman d’Ahmet Altan, parcouru de réflexions sur la puissance de la littérature et la force de l’engagement, parvient, avec intelligence, sensibilité et sobriété, à nous dire la beauté d’une passion amoureuse hors normes, tout en laissant filtrer une inquiétude sourde bien plus profonde : celle de la nécessité de fuir pour survivre. Néanmoins, Madame Hayat est comme un port d’attache. Une saveur du passé qui fera jaillir chez Fazil un espoir et un nouvel élan : celui du courage. Ne passez pas à côté de ce roman d’amour et de résistance, véritable bijou de littérature, tant il est enchanteur, alors même qu’il se fait le témoin d’une situation politique dramatique.

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