Polar

Alexandre Lenot

Écorces vives

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Chronique de Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

La nature – forêts obscures, plaines esseulées et montagnes arrogantes – est parfois trop grande pour les hommes isolés qui y vivent. Sa puissance inquiétante et feutrée aura tôt fait de les rendre féroces.

Alexandre Lenot inscrit l’action de son premier roman au fin fond du Cantal, où la nature, malgré la présence des hommes et de leurs routes qui tranchent et organisent, a su se garder quelques coins insoumis, presque à l’abri des regards et des lois. S’il s’inscrit dans le genre désormais bien connu du roman noir rural, Écorces vives se distingue néanmoins par une plume d’une singularité enivrante. La narration, très originale, fait l’économie des dialogues. Tout se passe en sourdine. Tout est décrypté avec application, doigté et discrétion. Il y a Laurentin, le commissaire taciturne et profondément bon ; Lison, jeune veuve inconsolable ; et surtout Louise et Eli. Louise a fui sa famille et travaille dans une ferme, parce que travailler la terre, s’user physiquement, permet de vider sa colère. Eli est venu de loin pour incendier la maison qu’il s’imaginait habiter un jour avec femme et enfants. Il erre comme un vagabond, seul dans la forêt. Et puis, il y a les autres, les habitants d’ici. Isolés, revêches et brutaux vis-à-vis de tous ceux qui ne sont pas des leurs. Alexandre Lenot propose une fable sur le vide social rural et un mouvement de haine déclenché par la méfiance et l’isolement : la cohésion d’un village se traduit par la violence exercée sur un bouc émissaire, jusqu’au désir de mise à mort. Le roman est court mais d’une densité rare. Il chante une tragédie des hommes, comme une rumeur grandissante qu’on sent proche d’éclater et de se déchaîner, une histoire de violence et de haine en sursis au sein d’un théâtre de nature où règne un silence de mort, conjugué au regard mauvais des hommes qui se toisent. La plume est virtuose, littéraire et profondément poétique. C’est beau et effrayant, épique et superbe. Un vrai bijou de roman noir.

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