Essais

Timothée Demeillers , Grégoire Osoha

Voyage au Liberland

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photo libraire

Chronique de Lyonel Sasso

Librairie Dialogues (Morlaix)

On pensait qu’il n’existait plus de terre libre sur la planète. Timothée Demeillers et Grégoire Osoha dressent le portrait d’une micro-nation oscillant entre utopie et cauchemar.

Pour ceux et celles qui gardaient encore en tête une image des Balkans, certes splendide, mais un peu idéalisée par Nicolas Bouvier et son Usage du Monde, Voyage au Liberland restitue ce territoire dans une autre version. Une certaine folie demeure, une même structure baroque et indomptable s’y perpétue mais le grand capital est passé par-là. Timothée Demeillers et Grégoire Osoha ont parcouru les lieux pour y penser et filmer un documentaire. Puis ils ont découvert cette Terra Nullius, ces Bermudes juridiques qui ont poussé un original, Vìt Jedlička, à imaginer une zone de droits particulièrement libérale. Car le régime incarné par la présidence de Jedlička, régime qualifié par ses détracteurs de « liberté adolescente », propose à ses citoyens de faire ce que bon leur semble. Des tas de petites libertés privées cohabitent, aucunement soumises à l’impôt. Ce qui rend des citoyennetés très éloignées d’un esprit mutualiste ou collégial ! Voyage au Liberland, c’est un peu partir à Monaco mais tout cela à la frontière serbo-croate. Car la question essentielle est bien la frontière et, en sous-texte, la limite. C’est tout le paradoxe qui traverse, toujours, l’Histoire des Balkans : une envie de repli et un désir d’émancipation à la fois. Timothée Demeillers et Grégoire Osoha, au fil des personnages croisés, des récits et enquêtes, montrent bien le caractère à la fois illusoire de ce régime utopique mais aussi l’arrivisme redoutable de ses différents acteurs. Car l’argent et la spéculation sont les deux mamelles du Liberland. On finit par grincer des dents et se dire que tout cela terminera comme l’aventure politique de l’écrivain Gabriele D’annunzio et sa prise de Fiume. Un fiasco fasciste lamentable qui causera un nombre de victimes considérable. Le personnage de Vìt Jedlička est romanesque à souhait, un gourou de la cryptomonnaie qui rêve d’attirer les grandes fortunes. Les deux auteurs arrivent également à nous transmettre leur passion pour cette culture atypique, celle des Balkans, où le pire côtoie le meilleur.

 

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