Littérature étrangère
Médecins malgré eux
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Boris Leonidovitch Pasternak
Le Docteur Jivago
Traduit du russe par Hélène Henry
Gallimard
25/05/2023
820 pages, 26 €
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Dossier de
Lyonel Sasso
Librairie Dialogues (Morlaix) -
❤ Lu et conseillé par
5 libraire(s)
- Nathalie Iris de Mots en marge (La Garenne-Colombes)
- Valérie Barbe de Au brouillon de culture (Caen)
- Lyonel Sasso de Dialogues (Morlaix)
- Grégory Barrillet de Bibliothèque Diane de Poitiers (Étampes)
- Tom Cherrière de La Maison jaune (Neuville-sur-Saône)
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Fritz Zorn
Mars
Traduit de l'allemand (Suisse) par Olivier Le Lay
Gallimard
13/04/2023
317 pages, 22 €
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Dossier de
Lyonel Sasso
Librairie Dialogues (Morlaix) -
❤ Lu et conseillé par
3 libraire(s)
- Stanislas Rigot de Lamartine (Paris)
- Mélanie Domar de Astrolabe (Melun)
- Audrey Andriot de Jonas (Paris)
✒ Lyonel Sasso
(Librairie Dialogues Morlaix)
Deux nouvelles traductions amènent un air frais sur des textes sans compromis. Car Mars de Fritz Zorn et Le Docteur Jivago de Boris Pasternak demeurent ces étoiles littéraires uniques qui ne cessent de nous fasciner. Il est grand temps de les admirer encore une fois, avec leur nouvelle luminosité.
Voici deux livres résumant deux vies. Deux astres aux trajectoires différentes. L’un est tissé de brièveté (Mars de Fritz Zorn), l’autre est constellé d’endurance (Le Docteur Jivago de Boris Pasternak). Si Mars est traversé d’une pulsion de mort, Le Docteur Jivago convoque la naissance d’un désir de prose chez le poète russe. Zorn ressemble à une détonation, Pasternak à un accomplissement. Hélène Henry comme Olivier Le Lay, dans leur traduction, ont considéré que ces mots étaient le bilan d’une vie. C’est un travail immense que de restituer ce constat, phrase après phrase. On voit alors comment ces nouvelles traductions n’ont pas refusé l’émotion et le sentiment. La raison grammaticale s’est parfois effacée au profit d’un éclat du sens. On saisit ce qui relie ces deux livres : le souci d’être soi et sans compromis. Mars est pour la romancière Sarah Chiche « l’éducation comme jeu de massacre (…) La maladie comme état de guerre et comme rédemption. » C’est aussi le livre unique de l’auteur. Fritz Angst, de son vrai nom, est un Zurichois condamné. Il mourra d’un cancer à l’âge de 32 ans. Il signe ainsi un testament de jeune homme. C’est-à-dire qu’à l’heure du bilan, une ironie noire et mordante convoquera le ballet des souvenirs. On y lit l’intime d’un corps qui penche, fatalement, vers sa propre destruction. Et cela devient politique chez Zorn. Il considère que la petite bourgeoisie suisse est peu faite pour la vie. Morale mortifère conspuée par une rage de tous les instants. Zorn, en allemand, veut dire colère. On la ressent entre les lignes. Lorsqu’il s’agit de la famille, on a l’impression de revoir certains passages du film Festen de Thomas Vinterberg. Mars est bien au-delà d’un règlement de comptes. Il est l’explication d’une condamnation initiale et pour saisir cela, Zorn se déclare « en guerre totale ». À l’instar de Zorn, Le Docteur Jivago est l’unique roman de Boris Pasternak. Car l’auteur est avant tout un poète. C’est ce que restitue la nouvelle traduction d’Hélène Henry. Il y a donc ici reformulée toute la fantaisie d’une langue offerte à de multiples variations. Dans l’histoire passionnelle de Iouri Jivago, orphelin de Sibérie devenant médecin et poète ‒ nous sommes loin du réalisme politique prôné par le régime de l’URSS ‒ transparaît le souci d’être soi. Pasternak s’affronte et fait tomber le masque, rencontrant la réalité de son propre désir. Cette honnêteté lui vaudra la condamnation du régime et il devra refuser le prix Nobel de littérature. Comme dans Mars, le roman de Pasternak est traversé d’amertume. La vie amène la désillusion. Pourtant, il demeure la beauté vive de Lara, la femme aimée par Jivago. Voilà pour nous l’essentiel.