Littérature française

Dima Abdallah

Bleu nuit

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Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

Fervent, tendu comme un câble au-dessus d’un précipice entre deux pays et deux vies, le superbe roman de Dima Abdallah inscrit dans la ville la cartographie intime d’un homme qui cherche à se perdre.

Son premier roman, Mauvaises herbes, annonçait l’arrivée d’une nouvelle voix saisissante au catalogue de Sabine Wespieser, sous la forme d’un poignant chassé-croisé d’une fille et de son père, entre Beyrouth meurtrie et l’exil en France. Une voix qui nous prend de nouveau à la gorge dès les premières lignes de Bleu nuit. Vaincu par un deuil impossible, après être resté cloîtré « plusieurs printemps et plusieurs automnes », un homme quitte son appartement et jette les clefs dans le caniveau. Seule une errance dans Paris pourrait peut-être l’apaiser. Commence alors un quadrillage systématique des rues dans un périmètre qui s’élargit peu à peu. Se poster sur un trottoir, observer les allées et venues des passants, dormir dans un parc, lutter contre le froid, redouter la violence, inventer des stratagèmes pour n’habiter que le présent et tenir à distance les fantômes et les brûlures du passé, sa « chronologie maudite ». Car le nœud est bien là. L’impossible oubli. Malgré l’alcool, la drogue, la fatigue, la rencontre furtive avec d’autres solitudes, Aimée, Carla, Emma, Layla... Et aussi la compagnie rassurante et désintéressée de Minuit, une chienne gardienne d’une tombe du Père-Lachaise. Comment se dissoudre dans cette géographie urbaine ? « J’ai glissé hors du monde et il est resté plein. » Ce sont des figures féminines douces, cousine, grand-mère et surtout la mère, Nour, qui apparaissent au gré d’un parfum de jasmin ou d’anis senti au hasard et qui ravivent la douleur de l’absence, « quand ce qui est mort et enterré veut remonter depuis les enfers ». Citant Kundera et sa « mémoire poétique », Dima Abdallah interroge subtilement l’écho interminable des blessures anciennes qui minent le présent et barrent le futur : « la rue de l’Avenir est une impasse ».

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