Littérature française

Patrick Modiano

Paris des jours et des nuits

✒ Valérie Barbe

(Librairie Au brouillon de culture, Caen)

Patrick Modiano rejoint aujourd’hui la collection Quarto « Voix contemporaines » qui, depuis 2022, donne une place particulière à des œuvres contemporaines, toutes essentielles comme autant de fenêtres ouvertes sur notre monde. Dix textes magnifiques réunis ici nous invitent à traverser son Paris.

C’est effectivement à une véritable déambulation dans Paris, ville devenue sujet et personnage de romans, tour à tour tragique, brutale ou douce, précise et floue, que nous invite ce judicieux volume. Paris est un terrain d’explorations multiples, d’un quartier à l’autre, d’un détail à une rue entière, d’un visage croisé au souvenir de celui que l’on aurait oublié de regarder. Et ce terrain-là, nous l’arpentons, séduits, avec le meilleur guide possible, celui dont la plume a su, au fil des livres, rêver la ville pour mieux l’incarner. Car le Paris de Modiano est unique et s’est révélé peu à peu être, à mesure des textes, une géographie de l’intime et de l’universel mêlés. Voyages dans l’espace, certes, voyages dans le temps aussi, celui de l’auteur, de ses souvenirs, de lieux disparus, de temps révolus mais pourtant jamais oubliés. Neuf romans, parus entre 1982 et 2019 et chronologiquement orchestrés, sont réunis ici pour l’attester : c’est une ville intérieure, construite par un savant géomètre qui topographie les lieux avec des jumelles à la focale sans pareille. Car ce volume montre bien comment l’auteur a transformé la ville pour mieux la rendre unique, essentielle, littérairement vraie, finissant par en devenir une véritable incarnation. Modiano incarne Paris mais Paris incarne aussi Modiano, l’écrivain qui, sans doute, comme Proust, est intimement associé, dans notre imaginaire, à l’espace parisien en une sorte d’identification amorcée très tôt, dès les premiers romans. Leurs intrigues sont la plupart du temps assez secondaires, s’effaçant souvent devant l’importance du souvenir, des lieux explorés, des arrondissements où l’on aime à revenir, avec cette frontière parfois franchie qu’est la Seine, mais aussi devant certaines figures, destinées humaines insaisissables comme l’a dit le jury du prix Nobel. À ces neuf romans s’ajoute un texte inédit, Brassaï de la nuit, dans lequel Patrick Modiano revient sur son travail de photographe, dont il dit qu’il était un « poète qui transmettrait très loin dans le temps les visages et les lumières noires et blanches de Paris ». Enrichi enfin d’un avant-propos de l’écrivain lui-même, ainsi que d'une vingtaine de photographies de différents artistes, accompagnées de légendes extraites des romans présents dans le volume, ce Quarto s’impose comme une clé capable d’ouvrir toutes les portes de la cosmologie modianesque, ce qui en fait un précieux recueil. 1000 pages de (re)découverte passionnante.

Les autres chroniques du libraire