Littérature française

Michèle Audin

La Maison hantée

✒ Valérie Barbe

(Librairie Au brouillon de culture, Caen)

Michèle Audin nous entraîne à pas feutrés sur les traces des « Malgré nous » alsaciens en imaginant ce qu’aurait pu être l'histoire de l'immeuble dans lequel elle vit sous l'Occupation. Un roman habile et fascinant.

Continuant son travail d'historienne des intimités, alliant littérature et Histoire, Michèle Audin donne cette fois-ci la parole au personnage de Delphine qui, installée récemment à Strasbourg où elle vient d'être recrutée à un poste de bibliothécaire, va remonter le fil du temps et le dénouer en reconstituant ce qu'ont été les vies des précédents habitants de son immeuble. Il suffit d'une conversation pour la lancer dans une sorte de reconstitution passionnante de la destinée de personnes auxquelles elle va, d'une certaine manière, redonner vie, en retrouvant leurs traces et leur destin. Nous connaissons cette expression de « Malgré nous », l'Histoire de cette Alsace annexée par l'Allemagne, de ses habitants enrôlés au sein des régiments SS, dont beaucoup sont morts sur le front de l'Est. Delphine aussi en a une idée, bien qu’elle ne soit pas alsacienne et ne porte pas en héritage l'histoire douloureuse et honteuse de la région. Pourtant elle va se lancer dans un travail de recherches, décrypter le passé, le quotidien des petites gens, pour mieux comprendre. En double de l'autrice, elle va compulser les archives, exhumer les vieux registres et s'attacher plus particulièrement à une femme, l'ancienne concierge de l'immeuble. Les voiles de l'Histoire se lèvent pour montrer ce qu'était la réalité plombée d'un immeuble, d'une rue, d'une ville entière : non seulement enrôlement forcé mais aussi germanisation des noms, de la pensée, apprentissage de la haine et bourrage de crâne pour les enfants. C'est un livre passionnant, émouvant, au style, comme toujours chez Michèle Audin, délicat et sans concessions avec le passé. On ne s'arrange pas avec l'Histoire, on la décrypte et la montre pour mieux humaniser ceux qui ne sont plus. Et franchement, c'est beau : un texte qu'on lit d'une traite.

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