Essais

Laurent Danchin , André Roumieux

Artaud et l’asile

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photo libraire

Chronique de Charlène Busalli

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Les éditions Séguier publient en un seul volume un ouvrage paru en deux tomes en 1996. Une édition revue et corrigée, autour d’une question qui fut à l’origine de débats houleux : « Génie-malade et poète toxicomane, Artaud était-il fou ? » Un livre passionnant autour d’un poète toujours aussi fascinant.

Avant même d’ouvrir Artaud et l’asile, on ne peut qu’être frappé par la photographie d’Artaud qui en orne la couverture. C’est certain, Antonin Artaud avait une « gueule ». Et c’est la souffrance intérieure qui se cachait derrière, que ce livre raconte. Le récit d’André Roumieux, intitulé « Au-delà des murs, la mémoire », constitue une « biographie de type médical d’Antonin Artaud ». L’auteur décrit l’addiction aux drogues, qu’Artaud utilisaient comme analgésiques. Il dit la souffrance physique et psychologique transparaissant dans les écrits du poète, par exemple dans sa Correspondance avec Jacques Rivière publiée en 1924. Il revient sur les années surréalistes d’Artaud après sa rencontre avec André Breton, jusqu’à la rupture née de l’engagement politique croissant de certains surréalistes. Artaud déclarera : « Que me fait à moi toute la Révolution du monde si je sais demeurer éternellement douloureux et misérable au sein de mon propre charnier ». André Roumieux revient sur le fameux épisode de la canne de Saint Patrick, qui vaudra à Artaud d’être interné après avoir été rapatrié d’Irlande. De son admission à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, en 1939, l’auteur, qui a lui-même été infirmier psychiatrique dans cet établissement, dit : « Antonin Artaud à Ville-Evrard connaîtra tout de l’internement, tout de la violence et du non-respect de la dignité humaine ». Il s’attarde sur le transfert d’Artaud, en 1943, à l’hôpital psychiatrique de Rodez, où le Dr Gaston Ferdière lui fera subir ce qu’on appelait à l’époque une sismothérapie, à savoir des électrochocs. Ce traitement vaudra au psychiatre d’être haï par de nombreux amis d’Artaud, mais force est de constater que ce dernier se remit à écrire et à peindre durant son séjour de trois ans à Rodez, alors qu’il ne l’avait plus fait depuis des années. La seconde partie du livre comprend la correspondance du Dr Ferdière, préfacée et annotée par Laurent Danchin, dont certaines lettres sont inédites. On peut y lire des lettres d’Artaud qui révèlent sa relation avec son médecin, dont il dira qu’il était « le seul psychiatre qui m’ait traité humainement ». Y figurent aussi des lettres émouvantes d’Euphrasie Artaud, qui s’enquit régulièrement de la santé de son fils. Les lettres des amis d’Artaud sont nombreuses, puisqu’un certain nombre d’entre eux, à l’instar de Robert Desnos ou Jean Paulhan, ne l’abandonnèrent jamais à son triste sort. La correspondance et les entretiens qui figurent en fin d’ouvrage révèlent également à quel point Gaston Ferdière était amateur d’art, d’où sa relation particulière avec Artaud. Les entretiens ne donnent pas seulement la parole à Ferdière, mais aussi à d’autres médecins, qui parlent du cas d’Antonin Artaud avec le recul qu’ils peuvent avoir aujourd’hui. Enfin, les lettres comme les entretiens reviennent sur les nombreuses querelles nées autour d’Artaud, que ce soit concernant le traitement que lui aura réservé la psychiatrie ou la publication de ses œuvres après sa mort.

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