Essais

De la zoophilie

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photo libraire

Par Charlène Busalli

Un historien et un philosophe nous font partager leur amour pour les animaux – ou zoophilie au sens premier du terme – à travers deux ouvrages passionnants. Quand l’un dévoile ce que nos rapports aux animaux domestiques disent de l’homme, l’autre explique ce que nous pouvons apprendre des insectes.

Damien Baldin est historien chargé d’enseignement à l’EHESS. Il regrette que sa discipline s’intéresse si peu aux animaux car, pour lui, les relations que nous entretenons avec nos compagnons domestiques en disent long sur notre société. Si son Histoire des animaux domestiques débute au xixe siècle, c’est parce que le nombre de ceux-ci – à savoir les chiens et les chats, mais aussi les chevaux et les animaux d’élevage – explose précisément à cette période, en ville comme à la campagne. Au fil des xixe et xxe siècles, les hommes se rapprochent de leurs animaux domestiques et leur accordent de plus en plus de soin, comme le montre la création de la SPA en 1845, le développement du métier de vétérinaire ou encore l’apparition des concours de beauté. Cependant, une certaine ambivalence se développe dans les rapports entre les hommes et leurs animaux domestiques : on les protège de plus en plus, mais la consommation de viande ne cesse d’augmenter ; on les invite chez soi, mais on supporte de moins en moins de voir et sentir leurs déjections dans la rue. De plus, l’homme a du mal à se détacher d’un certain anthropocentrisme vis-à-vis des animaux. Ainsi, le soin que l’on accorde aux animaux domestiques assoit tour à tour les notions de propriété, de progrès de la civilisation ou de supériorité nationale, notamment à travers l’amélioration des races. Damien Baldin utilise à bon escient la littérature et les textes de loi pour montrer l’évolution de nos rapports avec nos amis les bêtes. Dans Philosophie de l’insecte, le philosophe des sciences Jean-Marc Drouin s’applique quant à lui à démontrer notre triste méconnaissance de cette catégorie du monde animal. Celle-ci vient en premier lieu de la multitude d’espèces qui existent et des problèmes de classification qui en découlent. Preuve en est que la plupart d’entre nous y incluons les araignées, alors que celles-ci font partie des arachnides et non des insectes. En Europe, notre méconnaissance des insectes est d’ailleurs si profonde que les noms que nous utilisons pour les désigner (fourmis, abeilles, etc.) sont les noms des familles auxquelles ils appartiennent et non les noms de leurs espèces propres. Comme pour les animaux domestiques, il existe une certaine ambivalence dans notre rapport aux insectes. On éprouve à la fois fascination pour l’instinct et l’intelligence collective de ces petites bêtes, et répulsion envers ces êtres vivants auxquels il est difficile de s’identifier, tant leurs différences avec les mammifères sont grandes. Ainsi, l’homme est admiratif devant le processus de pollinisation et son importance capitale pour l’écosystème, mais cela ne l’empêche pas d’utiliser massivement les pesticides pour éliminer des êtres perçus comme nuisibles. L’anthropomorphisme est une autre barrière à notre compréhension des insectes, comme lorsque l’on compare les sociétés que semblent former les abeilles et les fourmis à des républiques ou des monarchies. Ce livre nous pousse à réfléchir sur notre propre relation à ces êtres minuscules.