Littérature française

Nina Leger

Mémoires sauvées de l'eau

✒ Victoire Vidal-Vivier

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Nina Leger prend pour décor la Californie dans ce roman fleuve, ou plutôt rivière, qui nous raconte quelques centaines d’années de l’histoire d’un lieu. À la fois historique et d’actualité, abordant une foule de thématiques essentielles, ce texte s’impose comme une lecture indispensable.

L’histoire du roman commence en Californie, à Oroville, en 1848, lors de l’acquisition de la Californie alors mexicaine par les États-Unis. Pourquoi en avoir fait le lieu principal de votre roman ?

Nina Leger Ce roman est autour d’une ville, mais c’est peut-être surtout l’histoire d’une rivière et j’avais envie de raconter ce qu’est l’histoire d’une rivière. Celle-ci est la deuxième dans laquelle on a découvert de l’or en Californie. Je me suis vraiment concentrée sur ce lieu quand j’ai découvert qu’il abritait un des plus grands barrages de Californie. Et puis j’ai appris qu’en 2017, il y avait eu un accident sur ce barrage, une fuite, et qu’il avait failli rompre. J’ai vu là comme une sorte de métaphore de ce que fut la création de ce lieu. Car la création de la Californie, c’est beaucoup de destructions. J’ai eu envie de raconter cette histoire en suivant ce flot tout en cherchant à l’incarner dans des personnages, comme celui de Thea et d’autres figures féminines.

 

Le personnage principal, dans ce roman, c’est Thea, la petite fille d’Ursula Le Guin. Pouvez-vous nous parler d’elle et de sa famille ?

N. L. Ce qui m’a fixée à Oroville, c’est mon amour pour Ursula Kroeber Le Guin. Il se trouve qu’elle était fille d’anthropo-logue. En 1911, à Oroville, un homme,
le dernier survivant des Yahis (tribu amérindienne), est arrivé. Cet homme a été mis en prison chez le shérif puis il est mort au musée, à San Francisco après avoir échangé pendant des années avec Alfred Kroeber, le père d’Ursula Le Guin. Il y a donc cette lignée que j’ai eu envie de poursuivre en créant le personnage de Thea. Elle commence à raconter une histoire qui est à la fois partagée, une histoire avec un grand H, qui pour elle est aussi une histoire intime de sa famille. Et pour moi, c’était une manière d’incarner l’histoire, de montrer que ces grandes histoires et ces grandes questions, peuvent aussi être racontées en se concentrant sur des moments très brefs et très fugaces de l’existence.

 

C’est un roman traversé par beaucoup de thématiques : écologie, racisme, colonisation des États-Unis, appropriation / réappropriation culturelle, etc. Un de ces sujets était-il pour vous central dans l’écriture ?

N. L. Il n’y a pas vraiment de sujet central mais une approche, celle de raconter un lieu. Et plus que des thématiques, je voulais des rythmes et des points de vue distincts. Je ne voulais pas tout  raconter d’un même endroit pour qu’une vérité en étouffe une autre, mais au contraire faire entendre les différentes perceptions. J’ai également voulu donner une voix à la rivière. En ce qui concerne les questions écologiques, je ne voulais pas écrire quelque chose de sentencieux mais essayer d’écrire, si tant est que cela soit possible, du point de vue des éléments. Je voulais entremêler la nature, les temporalités et les sensibilités.

 

Comment vous êtes-vous organisée dans votre travail de recherches ?

N. L. D’abord, j’ai lu. J’ai rassemblé tout ce que je pouvais lire, notamment les livres écrits par les parents d’Ursula, j’ai fait plein de recherches sur la ruée vers l’or, mais en même temps sur le fonctionnement d'un barrage hydroélectrique. Je savais que c’était un livre que je ne pouvais faire que si j’allais sur place et j’ai donc sollicité une résidence à la Villa Albertine. J’ai visité les archives, les bibliothèques, rencontré des enseignants en native stories et en hydrologie pour essayer de faire se croiser ces différents langages. C’est ce qui a nourri mon écriture, avec une étrange sensation d’avoir dès lors une dette envers les lieux, la ville et la rivière.

 

 

Oroville, en Californie, est une de ces villes issues de la ruée vers l’or. En 1848, la Californie passe de mexicaine à états-unienne et, peu après, un homme découvre de l’or dans le lit de la Feather River. La Feather River, c’est elle le personnage principal de ce roman qui s’étend sur près de 200 ans, faisant revivre au lecteur la naissance des États-Unis mais aussi tout ce convoi de destruction que l’appât du gain a entraîné. Dans Mémoires sauvées de l’eau, on suit le personnage de Thea, à l’héritage familial complexe, qui se bat entre passé et présent pour comprendre et tenter de réparer ces histoires intimes et universelles qui nous construisent. Nina Leger tresse ici un texte qui coule, qui court et qui interpelle.

 

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