Littérature française

Maria Pourchet

Western

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Chronique de Marie-Ève Charbonnier

Librairie Paroles (Saint-Mandé)

Comment aimer aujourd’hui quand tout le monde regarde tout le monde, quand les hommes sont observés et leurs actes ou propos disséqués, plus encore lorsqu’ils sont sur le devant de la scène ? Prenant pour cadre le théâtre et les codes du western, ce nouveau roman de Maria Pourchet réinvente l’amour post #MeToo avec brio, dans un style alerte et surprenant.

Comment est née cette envie de roman ?

Maria Pourchet - Il y a plusieurs envies qui ont convergé. La première était celle d’explorer la figure de Dom Juan, très importante dans ce livre. Lorsque je me suis lancée dans ce projet, je venais de relire Dom Juan ou Le Festin de Pierre de Molière et je m’étais aperçue de la modernité de ce personnage, moderne jusque dans sa malédiction. J’avais le sentiment qu’il y avait une sorte de prophétie autoréalisatrice chez Molière, qui nous explique que cette figure de beau parleur, de séducteur, dont il nous promettait la damnation et l’effacement, était en réalité très répandue à l’époque. On peut donc la convoquer pour observer le masculin d’aujourd’hui. J’avais aussi envie de jouer avec sa dimension de martyr et me suis aperçue que cette pièce de Molière est la seule dans laquelle le personnage se déplace trois fois sur cinq actes. En fait, il est en cavale, comme dans un western !

 

Pourquoi avoir choisi ces références au western ?

M. P. - Le western est un genre qui me passionne ! Et j’ai toujours aimé la place qu’il réservait aux femmes : il est loin d’être aussi macho qu’on le dit. Dans le western, j’ai l’impression que les femmes parviennent à emmener leur désir quelque part, un désir qui les conduit à une espèce de solitude, d’épreuve permanente. Mais malgré tout elles avancent. Et il se trouve qu’un des thèmes que j’explore dans mes livres, c’est cette figure de la femme, la façon dont, malgré les conditionnements et les injonctions permanentes, elle peut vivre son désir et à quel prix. Car si la figure d’Alexis, de Dom Juan, est importante dans mon roman, il me semble que le thème du féminin est prépondérant. Ce que je dis du féminin est plus documenté, plus urgent.

 

Votre roman parle d’amour et de différentes formes d’amour, dans ses facettes lumineuses et plus sombres. Après Feu, où il est question d’amour, de désir, aviez-vous encore des choses à dire sur ce thème ?

M. P. - Western n’est pas du tout la suite de Feu, bien sûr. Pourtant, il me semble que je n’avais pas tout dit sur l’amour, je sentais qu’il y avait encore des choses à explorer. La guerre des sexes ne peut pas tout atomiser, l’amour existe. Et j’avais envie de montrer ça entre deux personnages qui, se croisant à 40 ou 50 ans, sont chacun la somme d’échecs amoureux ou de mauvais choix. Le principe de leur rencontre c’est, dans un dialogue, de se raconter l’un à l’autre, de commencer à s’expliquer pourquoi ils ne peuvent pas aimer. Or dans le dialogue, le récit, les nuances apparaissent, le monolithe se fendille. Alexis et Aurore vont être rattrapés par leur passé et l’amour est peut-être plus fort qu’eux. Paradoxalement, c’est dans la fuite qu’ils vont se retrouver.

 

Un autre thème important, c’est le théâtre, par lequel le roman commence et s’achève. Pourquoi avoir choisi cette toile de fond ?

M. P. - Cela procède d’une forme de mise en abyme puisque tout ce que fait Alexis est projeté sur un théâtre social. Il ne peut pas échapper au public, il est tout le temps regardé, comme Dom Juan finalement, et ce sera sa perte. Et puis j’ai toujours aimé le théâtre, j’ai baigné dedans depuis toute petite. C’est un lieu très sécurisant avec un côté utérin qui m’a toujours plu. Et en même temps, j’ai toujours vu le théâtre comme le lieu de la surprise. D’une seconde à l’autre, tout peut se produire et cela peut provenir du comédien, d’un texte qui change, d’un décor...

 

On ne peut pas conclure cet entretien sans parler de votre style. Comment travaillez-vous ?

M. P. - Le lieu est pour moi très important. Une grande partie de l’histoire se passe dans le Lot, dans une maison de pierre sèche. Et je me suis mise dans ces conditions-là pour écrire, ce que je fais souvent. L’environnement est déterminant sur la longueur de mes phrases, sur la sensorialité de ce que je décris.

 

Le roman démarre dans un théâtre. Dom Juan s’apprête à être monté dans une mise en scène un peu nouvelle qui reprend les codes du western. C’est la dernière répétition et tout le monde attend Alexis Zagner qui a le rôle-titre. Alexis Zagner qui ne viendra pas. En parallèle nous suivons Aurore, qui fait « un job à la con » dont on l’écarte rapidement ; Aurore qui a une relation avec son N+1 et qui est toujours « ailleurs à chercher ce qui lui manque, un homme, de l’argent, une formation, un orgasme, toute chose vitale ». Lasse, elle se réfugie loin, à l’ouest, avec son fils Cosma. Alexis et Aurore vont se rencontrer et cette rencontre, l’amour, les relations hommes-femmes dans notre ère post #MeToo forment le sujet du roman. Le tout sur fond de western puisque l’analyse du genre ponctue les chapitres, apportant un angle original sur un sujet ainsi renouvelé.