Quelle a été la genèse du roman ?
Isabelle Sorente J’avais envie d’écrire un roman qui se passe à La Ciotat, où j’ai vécu et où je vais souvent, une histoire ancrée dans ses falaises. Et j’avais envie d’écrire sur la dernière pensée d’une jeune femme morte de mort violente. Très vite, j’ai imaginé qu’elle avait un frère, un personnage doux qui, subitement et à cause de cet événement brutal, doit vivre dans un univers chaotique. Il va s’attacher à enquêter sur les derniers instants de sa sœur. Je me suis attachée à leur famille et à Béatrix, la meilleure amie de Marianne. J’avais aussi envie de mettre en scène un couple d’enquêteurs atypiques. Non pas le duo habituel d’un homme mature et dur, et d’une femme plus jeune qui fait ses premières armes, amoureuse de lui. J’ai donc imaginé l’inverse : Liam hypersensible, un peu mystique, qu’accompagne dans sa quête Béatrix, très dure, cicatrice au visage car elle s’est fait agresser, un peu misandre.
La place du « monstre » est centrale dans votre roman, comme l’indique d’ailleurs le titre, Medusa. Marianne, le personnage principal, nourrit d’ailleurs une certaine tendresse pour les vilains. Pouvez-vous nous en expliquer la raison ?
I. S. La première explication de la fascination de Marianne pour les monstres est qu’elle ne se trouve pas belle. Depuis qu’elle est toute petite, on lui dit qu’elle est trop grande, pas assez délicate, trop audacieuse. Elle est très marquée par la mythologie et notamment par les monstres, auxquels elle s’identifie. Liam, en enquêtant sur la dernière pensée de sa sœur, va se rapprocher d’une douleur non dite, la douleur des femmes, transmise de génération en génération. En outre, le roman se situant dans le Sud, il est confronté à la douleur des femmes en noir, assignées à l’ombre dans des pays pourtant inondés de soleil. Liam va être initié à cette douleur des femmes, il va construire sa masculinité à partir de là. Le monstre, c’est ce qu’on ne veut pas, ce qu’on ne peut pas regarder. Et nous, les femmes, sommes toujours un peu amies des monstres car jamais vraiment conformes à ce qu’on attend de nous.
Parmi les nombreux thèmes abordés dans votre roman, il y a aussi celui de la maternité et de la transmission entre les mères et leurs filles. Vous mettez en scène plusieurs mères, chacune avec des profils différents. Qu’avez-vous souhaité dire ?
I. S. Entre les mères et les filles, le fossé générationnel est encore plus important qu’entre les pères et leurs fils, car il est désormais question pour ces dernières de liberté, de consentement, entre autres. Dans le roman, toutes les femmes portent en elles un poids de monstruosité mais celui des mères est différent de celui de leurs filles. En fait, un véritable abîme les sépare et celui-ci est encore plus fascinant et dangereux que celui qui sépare les vivants des morts (abîme dont il est aussi question dans le roman). Et cela aussi touche à certaines questions mythologiques sur la monstruosité.
Le roman est écrit à la première personne du singulier et la narratrice, tout en racontant l’histoire qui arrive à ses personnages, se met en scène avec une muse, avec laquelle elle dialogue. Comment et pourquoi avez-vous pris ce parti ?
I. S. Il n’y a pas du tout deux histoires dans le livre, celle qui arrive aux personnages, racontée à la troisième personne, et celle de la narratrice. Mais il y a en effet une muse qui commente ce qu’il se passe et surtout qui pose des questions métaphysiques sur l’identité, sur la monstruosité. Parce que je suis persuadée qu’une partie de nos malheurs vient de la croyance qu’on vit replié sur notre petite identité, en oubliant qu’on est traversé par des forces anciennes qu’on ne maîtrise pas. Ce n’est pas juste un roman psychologique : les personnages sont traversés par des passions qui les dépassent. Y compris la narratrice, qui n’est pas tout à fait normale puisqu’elle parle à une muse autoritaire et même assez cruelle.
Marianne, 20 ans, meurt lors d’un jeu sexuel avec son compagnon. Chacun de ses proches va voir sa vie bouleversée et tenter de se reconstruire, à commencer par son frère, qui part à la quête de la dernière pensée de sa sœur, convaincu que celle-ci a ordonnancé le monde chaotique qu’elle laisse derrière elle. Cette dernière pensée est l’axe central du roman : elle l’ouvre et le referme. Entre les deux, la vie de Marianne est reconstituée et une multitude de thèmes sont explorés parmi lesquels la monstruosité – et la différence –, la transmission, la maternité. Le tout au gré d’une écriture fluide, d’une construction à la fois complexe et maîtrisée et d’une narration particulièrement originale. Un régal !