Littérature étrangère

Nathan Hill

Bien-être

✒ Marie-Ève Charbonnier

(Librairie Paroles, Saint-Mandé)

Nathan Hill nous entraîne dans une fresque narrative qui explore la vie de Jack et Elisabeth, deux êtres que tout oppose mais que le destin va rapprocher. À travers un récit alternant présent et passé, entre le Kansas et Chicago, l’auteur dresse un portrait fin de l'Amérique contemporaine, mêlant humour et critique sociale. Un roman ample où se mêlent amour, famille et société américaine.

Bien-être, ce sont presque 700 pages dans lesquelles on se plonge sans peine. Et il fallait bien ça pour raconter une vie en Amérique aujourd’hui ! Jack et Elisabeth n’avaient rien en commun. Lui est issu d’une famille de fermiers du Kansas, elle d’une riche famille de self-made-men aux probables accointances avec le Ku Klux Klan – familles qu’ils ont l’un et l’autre fuies. Devenus étudiants à Chicago, ils vivent dans des immeubles en vis-à-vis et s’épient mutuellement. Jusqu’à leur rencontre, hasardeuse ou presque. Ah, la mythologie du coup de foudre ! Mais, au fait, en était-ce vraiment un ? Vingt ans plus tard, parents d’un enfant de 8 ans qui les martyrise et alors qu’ils s’apprêtent à accomplir le rêve d’une vie en devenant propriétaire d’un appartement qui cristallise toutes leurs tensions, que reste-t-il vraiment de cet amour fondateur ? Nathan Hill mène ce roman tambour battant en alternant, dans une construction maîtrisée, les épisodes du présent et du passé, récits auxquels s’ajoutent le narratif de l’Amérique des années 1990 (qui puise encore sans conteste dans celui des Pères fondateurs et de la « Frontière ») et l’exploration de la mythologie du couple, mêlant ainsi finement petite et grande Histoire. (On lira en frissonnant la description épique de la pratique des feux de prairie dans le Kansas.) Il y a dans ce roman tous les ingrédients du grand roman américain : l’analyse fine de la société américaine (rêves de grandeur, espoirs, individualisme à outrance) ou de l’époque (complotisme, abus des réseaux sociaux ou des jeux électroniques) ; une action qui se déroule dans les grands espaces et dans la ville ; mais aussi un humour et une dérision qui innervent chaque page (on lit par exemple avec horreur et délectation le chapitre intitulé « Craquage » qui met en scène une Elizabeth combative, voulant à tout prix faire manger son enfant de 3 ans et qui se fait aider par toute une flopée d’auteurs, psychologues, sociologues, comportementalistes…). Par son art du décryptage de la société américaine et son humour, Nathan Hill s’inscrit sans conteste dans la lignée d’un Jonathan Franzen. Un livre qui parle du hasard et de la nécessité, de l’amour, des amis, des enfants et de leur éducation, de l’apparence, du mensonge et de la vérité, des feux de prairies au Kansas, de l’art… avec drôlerie et inventivité ! On ne regrettera donc vraiment pas ces 700 pages !

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