Tous vos livres abordent une facette différente du thème de la sexualité. Dans ce roman, vous explorez le désir d’une femme en couple qui vient d’être mère. À chaque fois, votre particularité est d’aborder le sujet de façon décomplexée, avec une totale liberté et beaucoup d’humour. Peut-on dire que dans L’Inconduite, comme dans vos précédents livres, la sexualité en est le thème central ?
Emma Becker - Je n’ai jamais voulu en faire un sujet central ! Mais le fait est que la sexualité a tendance, dans les livres de femmes, à devenir rapidement un sujet central alors que c’est un phénomène inhérent à la vie humaine. Si j’en fait un objet d’étude, c’est parce qu’il fait partie de ma vie. J’étudie la sexualité dans tout ce qu’elle a de touchant, de dramatique, dans tout ce qu’elle dit de nous. Je ne pense pas écrire la sexualité de façon érotique mais oui, j’essaye bien de la décortiquer, peut-être parce que moi-même j’ai du mal à m’y retrouver. L’écrire c’est la poser à plat devant moi. En l’occurrence dans L’Inconduite, j’aborde le sujet de la sexualité après la maternité, la sexualité du couple. Après avoir vécu ce que je raconte dans La Maison (Flammarion et J’ai Lu), la nécessité d’avoir une sexualité plus rangée, plus sage a été un véritable choc thermique. J’ai éprouvé une sensation d’oppression que j’avais besoin d’explorer. Il y a beaucoup d’impératifs pour une femme quand elle devient mère, de renoncements, de résignation, difficiles à intégrer. Ce livre raconte en quelque sorte une façon de survivre à ces diktats. J'ai voulu parler d’une façon de « survivre » à la maternité ! Le mot est peut-être dur mais c’est comme ça que je l’ai ressenti un certain temps. Cette sensation de ne pas savoir où respirer. Peut-être que ma respiration fut justement d'écrire ce livre.
En effet, votre roman est aussi un livre sur l’écriture, sur la création littéraire. Et sur ce qu'est écrire quand on est mère, qu’on a une vie de couple et la place qu’il faut lui trouver.
E. B. - Le métier d’écrivain, non pas que j’en fasse une mission divine ou une sinécure, n’est pas un travail comme les autres. On n’a pas des horaires fixes, on ne part pas de la maison pour travailler. La sensation d’étouffer est venue du fait qu’écrire, c’est aussi ne rien faire, juste réfléchir et avoir le temps de penser. Or, quand on se retrouve avec un enfant, ce n’est pas évident. Cela a provoqué beaucoup de colère mais aussi de belles joies grâce à la survenue de petites respirations, respirations prises aussi avec d’autres qu’avec le père de mon enfant, parfois. Sur le moment, j’ai vécu la maternité comme quelque chose d’oppressant. Maintenant que le livre est écrit, je mesure à quel point il s'agissait de très belles années !
Alors écrire pour vous, c’est presque une thérapie, un moyen de guérir ?
E. B. - J’essaye de faire de situations critiques quelque chose de drôle. En relisant mon texte, je m’aperçois que je ne parviens plus à faire la différence entre ce que j’ai écrit et ce qu’il s’est passé, mais ça me fait des souvenirs uniformément amusants. C’est la meilleure chose à faire, en matière de sexualité, avec les histoires médiocres ! Les belles histoires ne sont pas celles qu’on écrit le mieux. Moi, c’est dans la rage et la frustration que je m’épanouis.
Et dans le même temps, vous décrivez des situations dans lesquelles on peut, toutes et tous, se retrouver un peu. Est-ce l’objet de l’écriture aussi, de faire en sorte que les autres se reconnaissent en soi ?
E. B. - Tout à fait ! C’est un peu l’objectif, se faire des amis. Il m’arrive de vivre des choses et me demander si je suis la seule à avoir réfléchi les choses comme ça. Et quand j’écris je suis tout le temps en train de me dire que, dans la masse, il y a peut-être une personne qui va se sentir touchée par ce que je dis, peut-être se sentir moins seule à ce moment-là. J’essaye de me rapprocher des gens quand j’écris.
À propos du livre
Emma sort d’une expérience intense de quelques années dans « La Maison », maison close qui a donné le titre éponyme de son dernier livre. Le livre est en cours de publication, elle-même vient d’accoucher, elle est jeune mère à présent. Hiatus entre sa vie d’avant, foisonnante d’expériences, et sa vie présente, monotone et centrée sur le nouveau-né. Dehors et dedans. Emma Becker raconte ici avec humour et sans concessions les questionnements d’une femme sur l’amour, le désir, la maternité, la création. Par ce prisme, elle dresse un beau portrait de femme avec une maîtrise parfaite de l’écriture et un art subtil de l’autodérision.