Votre roman décrit le passage à l’âge adulte du jeune K et de ses deux frères aînés, nés aux États-Unis de parents iraniens, tous trois grandis dans la double culture iranienne et américaine. Diriez-vous de votre roman qu’il s’agit d’un roman d’apprentissage ?
Khashayar J. Khabushani J’apprécie vraiment cette question car, grâce à elle, je viens d’apprendre quelque chose de nouveau. Pendant mes études, je me suis souvent retrouvé face au terme de « bildungsroman » mais j’ai toujours eu honte de demander ce qu’il signifiait. À la fois par peur de m’humilier en public mais aussi parce que j’avais moi-même honte de ne pas le savoir. Je l’ai maintenant fait et la définition a trouvé une résonance chez moi. Je dirais donc que ce texte est bien un roman d’apprentissage. K doit développer son sens du « moi » mais dans des circonstances difficiles : des conditions spirituelles, physiques et émotionnelles extrêmes qui menacent sa capacité à cultiver un « moi » distinct de celui de ses frères et de son père. À la fin du roman, alors que K est un jeune adulte, je me demande moins qui il sera dans le monde mais plutôt comment il sera.
Dans les remerciements finissant le roman, vous dites que « la fiction peut dire la vérité ». Est-ce le sentiment qui vous anime avec ce roman ?
K. J. K. Je pense que c’est particulièrement le cas dans les premiers romans. Les écrivains, et c’est le cas pour moi, sont poussés par un besoin profond de raconter leur histoire, parfois telle qu’elle s’est produite, parfois en la réécrivant d’une manière qui transmet des vérités plus profondes que celles produites par leur propre expérience. Ce fut le cas pour l’écriture d’American Boys. Tant de choses qui m’étaient inconnues se trouvaient sous la surface, et la fiction m’a permis d’extraire des vérités que je voulais rencontrer, ressentir et peut-être même vivre.
Le titre, American Boys renvoie à ce que c’est qu’être un garçon américain. En vous lisant on sent qu’y ont une grande part le basket, la nourriture, la liberté. Mais est-ce qu’être américain ce n’est pas aussi, peut-être même avant tout, accepter son passé ?
K. J. K. C’est une perspective séduisante. J’aimerais que les États-Unis dans leur entièreté adoptent et encouragent cette philosophie : la volonté d’accepter son passé. Les deux extrémités du spectre me semblent vraies : d’après mon expérience, une partie de l’attitude américaine, à une échelle nationale, est orientée vers l’oubli. Pour le dire plus généreusement, la nécessité de l’introspection n’est pas considérée comme une priorité. Et pourtant, pour moi, qui me définis comme américain, le souvenir, et donc, non seulement l’acceptation du passé mais aussi son assimilation, est ma conduite morale.
Vous interrogez les rapports familiaux également : une mère aimante mais absente, un père violent, une fratrie soudée. La famille peut-elle sauver ?
K. J. K. Si l’on veut que la cellule familiale (brisée) puisse sauver quoi que ce soit, chaque membre de ce tout doit d’abord se sauver lui-même et cela peut se passer différemment pour chaque personne, évidemment.
Vous avez un style caractérisé par un vrai sens de l’ellipse, le talent du silence. Comment avez-vous construit votre roman, pour justement en dire assez mais pas trop ?
K. J. K. C’est vraiment généreux à vous de noter cela, je vous remercie ! Je crois qu’il s’agissait de respecter l’expérience de K. Cela signifie que, étant donné que sa mère ne lui propose pas de parler et que, à part une ou deux fois, elle n’essaye pas de lui offrir un contexte, une compréhension de qui ils sont et d’où ils viennent en tant que famille, composer des scènes avec un langage solide et élaboré semblait injuste et même indigne, en tant qu’écrivain. En même temps, comme vous l’avez souligné, ce serait aussi injuste de ne pas donner de détails essentiels. Quel équilibre difficile à trouver. J’espère que les lecteurs ont le sentiment qu’il reste assez de place pour qu’ils éprouvent leurs propres émotions, pour qu’ils aient leurs propres expériences. Pour moi, c’était vraiment important de respecter K, mais aussi de respecter le lecteur.
Le jeune K, 9 ans au début du roman, vit en Californie avec ses deux frères aînés, un père sévère dont il est le favori mais qui s’avère vite être maltraitant, une mère qui a repris ses études et donc souvent absente. Ils sont tous les trois nés aux États-Unis mais leurs parents ont émigré d’Iran, pays et culture qui baignent leur quotidien. Il découvre l’amitié, sa sexualité, il veut conquérir la liberté, bringuebalé entre les deux cultures et modes de vie qui l’encerclent. Un voyage en Iran, les attentats du World Trade Center seront des événements pivots dans ce long chemin vers l’émancipation. Khashayar J. Khabushani nous livre ici un premier roman à l’écriture délicate qui, avec des scènes dont les ellipses prennent tout leur sens, va révéler à eux-mêmes ces jeunes « garçons américains ».