On pourrait démarrer par ce titre, Ta Promesse, car il est question de confiance, en filigrane, dans tout le livre. Il y a en fait plein de promesses que vous égrenez au fil du roman. Il y a cette double promesse entre Gilles à Claire mais aussi celles des amis que certains vont trahir. Pourquoi explorer ce thème ?
Camille Laurens - J'ai beaucoup réfléchi à cette question. Est-ce que par exemple, quand on promet, on sait déjà, inconsciemment, qu'on ne va pas pouvoir tenir cette promesse ? Et puis, je pensais beaucoup à la phrase de Benjamin Constant et cette phrase qui est assez terrible : « Tout promet et rien ne tient ». Et aussi, bien sûr, à La Promesse de l'aube de Romain Garry et cette phrase : « Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais ». Je pense qu'au fond de nous, dans la vie, il y a toujours cette notion d'une promesse qui nous est faite, soit dans l'enfance par nos parents, soit par la confiance que nous avons dans l'existence. La question de savoir ce que devient cette promesse est cruciale.
Vous donnez la forme du thriller à votre roman. Cette forme-là s'est-elle imposée tout de suite ? Avez-vous hésité avec d'autres formes de narration ?
C. L. Le roman policier est une forme que j'aime parce que je trouve qu'il est assez représentatif de la joie de la lecture. Et quand j'écris, je suis aussi une lectrice, j'écris ce que j'aurais envie de lire. Dans les romans policiers comme dans la vie, il y a une énigme, il y a quelque chose qu'on ne comprend pas tout de suite et plus on avance dans l'histoire, plus on avance aussi dans sa propre vie : des choses s'éclairent et des mystères sont dévoilés. J’ai voulu travailler comme ça, par effets de suspense. J'ai une autre caractéristique qui, paraît-il, est celle des auteurs de romans policiers, c'est que je ne peux pas commencer un livre si je n'ai pas la fin. C'est ce qui va éclairer l'ensemble et on y arrive progressivement, par étapes.
Vous utilisez aussi une forme particulière de narration puisqu’il y a plusieurs points de vue qui vont se succéder. Il y a celui de la narratrice, le personnage principal. Pour elle, vous utilisez le « je ». Mais il y a aussi les entretiens que fait l'avocate, les amies de Claire qui s’expriment, ainsi que le meilleur ami de Gilles. Comment avez-vous eu l'idée d'explorer ces différents points de vue et de ne pas utiliser le « je » tout le long du livre ?
C. L. J'ai construit ce roman de manière chorale, polyphonique parce qu'il me fallait des témoins à cette histoire racontée par Claire Lancel. C'est comme dans la vie, il y a un entourage, des gens autour de nous qui sont plutôt favorables ou plutôt défavorables à l'un ou à l'autre. Et puis, il y a aussi la question de l'interprétation. Qu'est-ce qu'on comprend d'une histoire ? Qu'est-ce qu'on comprend de l'autre ? Parce que c’est là une question essentielle. L'autre est opaque, il est mystérieux. On a besoin de l'entourage pour éclairer les personnages principaux. Cela m’intéressait de procéder dans la sphère privée de la même façon que dans les affaires judiciaires, où il y a des témoins qui n'ont pas tous vu la même chose, n'ont pas tous compris la même chose et qui se contredisent parfois.
Vous explorez beaucoup le thème de la création et notamment la création littéraire en mettant en scène une écrivaine. Vous faites dire à un moment à la narratrice, qui se décrit comme gentille et qui parle à son avocate de son moteur d'écriture : « Dans un livre, c'est différent, il faut décaper sa propre douceur ». Pouvez-vous nous expliquer cette formule ?
C. L. La douceur, c'est celle du personnage de Claire qui veut aimer et être aimée, qui est dans l'empathie, dans la compréhension de son compagnon. Et puis, il y a aussi la romancière qui, ensuite, cherche à ressaisir ce qui s'est passé, à le ressaisir par les mots, donc à faire une création qui est à la fois une compréhension de ce qui s'est passé et une déperdition par rapport à ce qu'elle a vécu. Elle doit avoir un regard beaucoup plus analytique, à distance. C'est cette différence entre l'écriture et la vie que je veux saisir.
L’histoire d’un amour idyllique qui se transforme en cauchemar, en amour toxique : voilà ce dont il est question dans Ta promesse. Claire aime Gilles, Gilles aime Claire, ils se font une double promesse, dont celle, pour Claire, qui est écrivaine, de ne pas écrire sur Gilles. En lisant le livre, raconté à la première personne, on sait toute de suite que la promesse n’a pas été tenue. Pourquoi ? Comment ? C’est ce que raconte ce roman éblouissant tant par le fond que par la forme, qui emprunte tous les codes du thriller dont un suspense insoutenable. Camille Laurens revient sur des thèmes qui lui sont chers comme l’amour, le désir, l’écriture, dans une langue précise et ciselée, et un véritable sens de la formule. Une expérience de lecture totale !