Bande dessinée

Nicolas Pitz

Montana 1948

illustration

Chronique de Guillaume Boutreux

Librairie M'Lire (Laval)

À cette heure où l’Amérique est à nouveau en proie au repli identitaire et aux tensions raciales, l’adaptation en bande dessinée de Montana 1948 résonne d’autant plus que « justice » semble être devenue un vain mot pour les plus jeunes générations…

Située au nord-est du Montana à une vingtaine de kilomètres du Canada, la ville de Bentrock si elle accueille bon gré mal gré 2 000 âmes, reste la ville principale de ce territoire très rural. C’est ici que vit David. Il a douze ans et nous sommes en 1948. David est fils et petit-fils de shérif. Autant dire que les Hayden forment, sous la houlette d’un grand-père en patriarche autoritaire, une famille très respectée dans la région. Cependant, la forteresse familiale va se mettre à vaciller suite aux révélations de Marie, la nurse de David, jeune femme qui appartient à la communauté indienne des environs. Comme l’éructe le grand-père Hayden, « la viande rouge » n’est guère plus considérée que le bétail à Bentrock. Or, Marie, ainsi que de nombreuses jeunes femmes indiennes à sa suite, vont témoigner des nombreux abus sexuels commis par Frank Hayden qui profitait de sa qualité de médecin pour accomplir ses crimes. Seulement Frank, frère aîné de Wesley, le père de David, est un héros de guerre soutenu par sa communauté. Sous le regard de David, son père se trouve alors confronté à un cruel dilemme entre respecter la conscience morale qui sied à sa fonction de shérif et la fidélité sans concessions qu’il doit à sa famille selon le code de son propre père… Montana 1948 est initialement le premier roman de Larry Watson paru en 1993 (Gallmeister). Tout comme David, Watson a grandi dans un des grands états ruraux du Nord des états-Unis : le Dakota du Nord voisin du Montana. Tout comme David, il a connu la persistance du racisme envers les Indiens et cette mentalité aussi rude que sont les hivers de ces régions. C’est avec talent que Nicolas Pitz parvient à retranscrire toute la tension qui règne entre les communautés et qui va être catapultée avec violence au sein de la famille Hayden. Nicolas Pitz n’est d’ailleurs pas à son coup d’essai en la matière. En effet, avec Luluabourg, paru en 2010 aux défuntes éditions Manolosanctis puis, avec Les Jardins du Congo, paru aux éditions La Boîte à bulles en 2013, l’auteur-dessinateur belge abordait déjà toutes les difficultés des relations filiales face à un père dominateur. S’ajoutait à cela le racisme omniprésent au sein d’un Congo maintenu avec violence sous le joug belge. En reprenant le récit de Larry Watson, Nicolas Pitz intègre les thèmes de ses premières bandes dessinées tout en s’affranchissant de ses propres antécédents familiaux qui pouvaient peser sur ses histoires. Son dessin, presque naïf, contraste avec la violence du récit tout en désignant avec justesse le point de vue du récit : celui d’un enfant de douze ans. Un mot enfin pour saluer le travail des éditions Sarbacane qui, en une période où fleurissent de toutes parts les adaptations en bande dessinée d’œuvres romanesques, savent sortir des sentiers battus en nous proposant des textes de grande qualité sans être galvaudés, à l’instar de Pereira prétend d’Antonio Tabucchi, repris par Pierre-Henry Gomont, ou encore de La Ballade de Sean Hopper de Martine Pouchain, adapté par Christophe Merlin.