Bande dessinée

Nicolas de Crécy

Visa Transit

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Chronique de Guillaume Boutreux

Librairie M'Lire (Laval)

Avec ce premier tome de Visa Transit qui paraît aux éditions Gallimard BD, Nicolas de Crécy nous livre, avec toute la subtilité et l’humour qu’on lui connaît, un récit de voyage initiatique du Nord de l’Italie jusqu’en Turquie en passant par la Yougoslavie du milieu des années 1980.

Q ui est déjà monté dans une Citroën Visa ne peut avoir oublié cette sensation unique. Votre esprit y navigue entre un sentiment diffus de laideur et d’insécurité, et l’impression d’avoir découvert l’équivalent automobile d’un ornithorynque ! Comme le curieux animal, cette voiture – française ! – dont l’existence tient de l’aberration, existait pourtant bel et bien. Cette sensation, si elle semble bien avoir été partagée par Nicolas de Crécy et son cousin en 1986, ne les a néanmoins pas arrêtés dans leur périple oriental, pas plus que la frontière franco-allemande n’arrêta le nuage radioactif de Tchernobyl quelques mois plus tôt. C’est à partir d’une épave du fameux modèle Citroën, customisée par leurs soins, qu’ils traversent une Europe d’avant l’euro, encore vierge de l’impact du téléphone portable et d’Internet et ce, le plus loin possible, vers l’Est. Au cours de cette sublime épopée, outre quelques incidents technico-logistiques, ils vont croiser, entre autres, des autochtones hilares, un fantôme littéraire à motocyclette, des réminiscences de la Sainte Vierge et même quelques chars d’assaut. Bref, les deux cousins accompliront à bord de cette Visa le voyage de leur vie, avec cette constante : jamais ils ne se départiront de l’insouciance de leurs 20 ans ! Force est de constater que, même après avoir quitté sa Visa bringuebalante, Nicolas de Crécy a malgré tout parcouru un sacré bout de chemin depuis Foligatto, son premier album paru en 1991 aux Humanoïdes associés et immédiatement salué par la critique. Évoquons seulement ses séries Le Bibendum céleste (Humanoïdes Associés) Léon la came (Casterman) ou encore ses collaborations avec le musée du Louvre, ses résidences au Japon et l’on voit déjà se dessiner l’importance de cette œuvre, véritablement à part, mue part un dessin personnel et une narration d’une rare sensibilité qui en inspire et en inspirera plus d’un. En nous proposant de l’accompagner un peu plus loin dans son intimité à travers cet épisode majeur de sa vie, Nicolas de Crécy accomplit la prouesse d’un premier tome exaltant : un récit à la fois drôle, tendre et mélancolique qui complète sa bibliographie sans jamais tourner en rond. Alors n’ayez aucune hésitation, faites fi des contrôles techniques et autres contraintes administratives castratrices, et laissez-vous entraîner le long de ces routes délicieusement désuètes au doux son d’un vieux moteur de Visa, vous ne le regretterez pas !