Bande dessinée

Lucie Mikaelian , Jeanne Boëzec , Lisa Chetteau

Mes quatorze ans

illustration

Chronique de Guillaume Boutreux

Librairie M'Lire (Laval)

L'histoire débute lorsque Lucie Mikaelian (re)découvre chez ses parents un gros cahier jaune à spirale. Sous sa couverture ordinaire se cache le journal intime qu'elle tenait à 14 ans. S'ensuit une série d'une douzaine de podcasts aujourd'hui adaptée en bande dessinée.

 

Lorsque Lucie Mikaelian a 14 ans, nous sommes en 2003 et le fameux réseau social au pouce bleu ne sera lancé que l'année suivante. Le temps où tout le monde étale sans vergogne sa vie au monde entier n'est pas encore arrivé. Les ados d'alors, à l'instar de Lucie, se contentent d'évoquer leur vie à leur cercle d'amis proches ou encore d'en consigner les détails dans un journal intime.

Aujourd'hui journaliste, Lucie Mikaelian a passé une adolescence qu'on peut qualifier de favorisée dans un quartier paisible de Paris et facilitée par de bons résultats scolaires. Si la situation de ses parents ‒ qui vivent séparément les deux-tiers de la semaine ‒ n'est pas commune, ses préoccupations d'adolescente sont loin de déroger à la règle. Elle a en effet une idée fixe : avancer dans sa vie sexuelle avec, en point d'orgue, la perte de sa virginité. Plutôt précoce, elle devance ses amies dans des expériences qu'elle relate très librement, sans filtre, dans son journal. On associe volontiers les garçons avec cette frénésie d'expériences et cette liberté de parole parfois crue sur la chose sexuelle. Avec une certaine fraîcheur, Lucie Mikaelian va à rebours de cette idée répandue. Il faut sans doute ajouter que, même s’ils ne lui laissent pas tout faire et la guident, Lucie a la chance de pouvoir parler de tout avec ses parents (en particulier sa mère). Et force est de constater que communication, confiance et liberté font plutôt bon ménage. Le tableau n'est cependant pas totalement rose, Lucie Mikaelian nous montre les nombreux questionnements toujours d'actualité qui la taraudent : la peur omniprésente de l'agression, la pression sociale, la dictature des magazines, le culte de la maigreur et de la performance sexuelle, le sexisme aussi insidieux qu'omniprésent ou bien encore le harcèlement sous toutes ses formes. L'adaptation en bande dessinée du journal de Lucie est le fruit du travail de Lucie Mikaelian, bien évidemment, mais aussi de Jeanne Boëzec, journaliste indépendante et productrice de pocasts pour Paradiso Media. Elle est à l'origine des podcasts intitulés « Mes 14ans ». Est venue également se greffer Lisa Chetteau, dessinatrice de bande dessinée ayant déjà travaillé pour Gallimard Bande dessinée sur David Bowie, Rainbow Man de Jérôme Soligny. Le dessin plein de vie de Lisa Chetteau reflète à merveille la fraîcheur, l'ingénuité voire l'impertinence des personnages tout en conservant une forme foisonnante, rappelant l'atmosphère d'un journal adolescent. Ainsi, ce brillant trio de femmes nous offre une bande dessinée étonnante où l'on passe de sujets profonds traités avec légèreté à des situations frivoles envisagées avec le plus grand sérieux. On passe de la certitude au doute en un clin d'œil. Parfois prévisible avant de nous prendre à contre-pied, cet album est touchant, vivant et bouleversant comme un journal adolescent.