Explorations

Yuichi Yokoyama est d’abord un artiste, dont le travail a fait l’objet de nombreuses expositions à travers la planète. S’il s’est tourné vers la bande dessinée, il n’a nullement renoncé à la dimension expérimentale qui caractérisait son activité précédente. Ainsi ses personnages, notamment dans cette dernière parution, s’attachent à découvrir un univers de paysages et d’architectures inédits. Dans son premier album, Travaux Publics, les personnages semblaient agir hors de toute forme de volonté et donc de tout désir, comme s’ils évoluaient dans un monde absolument dépourvu de contrainte et où les notions de désir, de liberté n’auraient par conséquent pas lieu d’être. Les objets et les paysages sont soumis aux mêmes règles, ils existent en dehors de tout cadre et de toute forme, évoluant et se métamorphosant sans cesse. Dans Combats, un précédent album, Yokoyama dessinait les affrontements qui opposaient, sans raison apparente, des guerriers aux visages inexpressifs. L’auteur ne semblait en réalité s’intéresser qu’aux objets utilisés comme armes par les combattants et aux gestes de la lutte. Dans Voyage, le traitement est identique. Le déplacement en train et les deux personnages ne paraissent posséder d’intérêt que dans la mesure où ils constituent la source d’un mouvement. Jardin et Nouveaux Corps sont l’occasion pour Yokoyama de modifier son angle de tir en dotant ses personnages de la faculté de parler. Ceux-ci n’utilisent toutefois la parole qu’avec une extrême parcimonie, pour s’adonner à de laconiques comptes rendus des paysages, artificiels ou pas, qu’ils traversent, et les objets, vivants ou non, qui les entourent. Les trois histoires courtes d’ Explorations montrent des hommes masqués et désincarnés qui n’ont manifestement pour fonction que de servir de faire-valoir aux inventions (une étrange fusée, de curieux refuges destinés à se protéger de la pluie, des tentes très originales, etc.) de leur créateur – c’est une façon de voir les choses intéressante… Le lecteur devient alors le témoin d’expériences sensorielles pures, exemptes de toute interprétation. Pour Yokoyama, tout peut être décomposé en traits, trames et motifs simples. De la même manière, le sens de l’ouïe est représenté à travers l’emploi d’onomatopées gigantesques qui symbolisent les éléments fondamentaux du son.

Les livres de Yuichi Yokoyama constituent un pont remarquable entre l’art contemporain et la bande dessinée. S’ils semblent, à première vue, ne rien raconter, ils offrent en réalité un incroyable point de vue sur notre monde en identifiant la base de nos rapports avec lui. Vertigineux !