Littérature française

Sarah Chiche

Les Alchimies

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

Bien qu’indépendants les uns des autres, Les Enténébrés, Saturne et aujourd’hui Les Alchimies forment une famille de romans, où les couleurs rouge et noire dominent. Sarah Chiche y sonde l’âme humaine avec une acuité et une plume incomparables. À la recherche du crâne de Goya, elle nous bouleverse et signe son chef-d’œuvre.

Le roman s’ouvre sur une idée qu’il faut bien qualifier de géniale. Avertis par le titre de la première partie du livre (« Les désastres de la guerre »), nous lisons une description de cadavres enchevêtrés, de crânes, de mains coupées, de cadavres profanés, comme sortie d’un tableau de Goya. Ce n’est pas l’Espagne du XIXe siècle mais le Paris de 2022 quand est révélé le scandale du laboratoire d’anatomie de l’université de médecine. La noire splendeur du style jette un éclat de nuit sur ces premières pages qui nous coupent le souffle. Camille Cambon, la narratrice, est médecin légiste, un peu en errance ; son portrait sera découpé au scalpel dans cette première partie. Elle songe à Goya, à la nuit des hommes où « Tout est vrai. Rien n’est vrai ». On a oublié le caractère sacré des corps. Des images d’Enfers s’ouvrent en elle (Énée, le Styx…). Sans bien se le formuler, elle est en guerre. Goya avait écrit que « le sommeil de la raison engendre des monstres » ; la passion de la recherche peut-elle rendre l’homme monstrueux ? Un mail mystérieux va la conduire à Bordeaux pour y entendre le récit d’une vieille femme ayant connu ses parents, morts tragiquement trente ans auparavant. C’est la deuxième partie qui ouvre une réflexion (et un trouble) qui justifie le titre du roman. La quête du crâne de Goya que poursuivait ses parents relève-t-elle d’une alchimie ? Étaient-ils des Zénon avides de réaliser leur œuvre au noir ou avaient-ils lâchés les rênes de la raison ? De ce récit haletant, servi par une prose de ténèbres éblouissantes, alchimie du verbe et de la mémoire, sortira une vérité : « En tout homme qui cherche, le plomb est transmuable en or ».

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