Littérature française
Marie-Hélène Lafon
Cézanne
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Marie-Hélène Lafon
Cézanne
Flammarion
13/09/2023
161 pages, 21 €
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Chronique de
Nicolas Mouton
Librairie Le Presse papier (Argenteuil) - ❤ Lu et conseillé par 14 libraire(s)
✒ Nicolas Mouton
(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)
Quelques mois après Les Sources (Buchet Chastel), Marie-Hélène Lafon ouvre « le chantier Cézanne ». Un portrait vivant par petites touches, thèmes et variations. Elle y privilégie le chant à l’érudition sèche. Un corps à corps avec un peintre, un pays, l’écriture et soi-même.
Le texte de Marie-Hélène Lafon est son propre atelier et commence par remonter la mémoire des mots. Depuis longtemps rêvé, elle s’en apprivoisait, ruminait, malaxait, se mettait en situation à la rencontre des lieux, des objets, traçant quelques lignes, esquisses d’une terre fertilisée. Le vocabulaire même dit combien son geste est érotique : approche, caresses, être traversée… Elle invente le verbe « cézanner » et s’abandonne à un climat, une lumière. Les dates sont les repères de ce voyage intérieur et les sources littéraires, parfois très allusives, irriguent cette matière : Zola et Flaubert, Colette et Giono, Aragon dont L’Exemple de Courbet est un reflet de Ramuz, cité en exergue. Pour écrire d’un peintre, comment procéder ? L’auteure est d’une ambitieuse modestie : à tâtons, réhabilitant le verbe « faire ». Comme Cézanne elle part au paysage, saisit le motif. Elle a besoin du dehors pour mener un combat intérieur. Rebattant les cartes fidèles et froissées du jeu des familles, méditant sur la place d’une échelle, ses déductions sont le chemin de l’imagination : le roman énonce sa vérité par la voix de la mère de Paul ou celle du jardinier Vallier. Patience, ardeur et ténacité sont les maîtres mots : « ça se fait en se faisant, c’est une grâce ordinaire et somptueuse qui empoigne et secoue. » Le texte fait corps : aux pages de l’Atelier fendu, le chapitre lui-même se fend, révélant le fruit savoureux dont les personnages de Giono sont peut-être nés. Et comme dans toutes variations, Marie-Hélène Lafon termine par une broderie sur l’aria fondatrice, Un cœur simple de Flaubert, dans les mots d’un jardinier, dont les paroles peintes disent la clarté et le silence obstiné de la création.