Littérature française

Patrick Rotman

Ivo & Jorge

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Chronique de Nicolas Mouton

Librairie Le Presse papier (Argenteuil)

Liés à jamais par des films comme La Guerre est finie, Z ou L’Aveu, Jorge Semprun et Yves Montand auront écrit quelques pages puissantes du cinéma, de l’Histoire et de la conscience politique du XXe siècle. Mais c’est aussi au récit croisé d’une profonde amitié que nous convie Patrick Rotman.

Le titre dit l’essentiel : dans Ivo & Jorge, ce ne sont pas les grands noms qui comptent ; les frères d’âme s’appellent par leurs prénoms. Et si ce livre nous touche tant, d’abord, c’est peut-être parce qu’il a le ton familier de la parole partagée. Cette conversation, elle commence à Moscou, le 6 juin 1990, dans une chambre de l’hôtel Rossia. Montand, venu présenter L’Aveu avec Costa-Gavras et Jorge Semprun, scénariste du film, se lance devant l’auteur dans un long monologue interrogeant sa vie, ses engagements, ses aveuglements. Ce retour à Moscou, le premier depuis 1956, sera le fil conducteur du récit. Si Rotman connaît admirablement Montand (auquel il a consacré une biographie) et Jorge Semprun (dont il a réalisé un portrait dans la série Les Brûlures de l’histoire), il est trop fin pour se mettre dans la position du narrateur omniscient et se contente de suivre la chronologie des événements. Témoin discret, il remonte le fil du temps retraçant, en miroir, deux chemins qui vont finir par se rencontrer. Celui d’un fils d’immigrés italiens communistes échoués à Marseille et celui d’un fils d’Espagnols cultivés, politiquement engagés, fuyant le franquisme. Ils ne se rencontreront que dans les années 1950, le premier ayant consacré toutes ses forces à son art, sans vraiment voir passer la guerre, l’autre en résistant puis déporté à Buchenwald (L’Écriture ou la vie), finalement unis après-guerre par la foi communiste. Le drame de leur vie aura été de ne pas comprendre assez vite la nature du régime soviétique. Peut-on trahir les siens et son idéal au nom de la vérité ? Ce livre exaltant est autant une leçon d’histoire que d’humanité.