Littérature française

Cécile Ladjali

La nuit est mon jour préféré

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

Interrogeant sous des formes variées l’identité, la difficulté d’être au monde, les méandres de l’amour et la force du langage, l’œuvre de Cécile Ladjali s’enrichit d’un roman virtuose où les voix font corps avec le silence. Alerte et souple, il chante, en des pages saisissantes, la Littérature.

Pourquoi « les hommes ne s’entendent pas » ? Ou peut-être faudrait-il dire « comment » ? Dans La Nuit est mon jour préféré, titre emprunté à Emily Dickinson, Cécile Ladjali met en place un savant ballet de personnages, en proie à la difficulté de dire ou de se faire entendre, fous de solitude et d’amour muet. Tom, le narrateur, est psychiatre dans un hôpital de Tel-Aviv où il tente de nouer un dialogue avec Roshan, une Palestinienne en déni de grossesse, et Steiner, vieux musicien malicieux jouant de la harpe et des apparences. Passionné par le mystère de ce que perçoivent les bébés in utero, il songe à son trauma fondateur : l’angoisse de sa mère enceinte de huit mois veillant sa sœur dans le coma. Dans cette chambre d’hôpital, le 11 septembre 1995, une télé diffusait en direct le retour, puis la disparition des écrans, de la navette Soyouz, premier vol américano-soviétique. Superposition des voix, frontières idéologiques, conflit israélo-palestinien, d’abîmes en espaces, de lieux clos en paysages infinis : comment se faire entendre ? La politique crée de l’incommunicabilité, de l’incompréhension entre les êtres : Roshan se croit l’ennemie de Tom. Mais peut-être existe-t-il une autre voie ? Celle de l’art, quand le vieux Steiner regarde avec Tom Le Dernier Métro de François Truffaut et s’identifie à Lucas Steiner, fantôme de son propre théâtre. Et comment ne pas sentir ici la présence d’un autre Steiner ? George, avec lequel Cécile Ladjali a écrit son premier livre. Comme un volcan silencieux, de dissonances en accords parfaits, mêlant voix des morts et voix des vivants, ce roman profond et limpide nous approche de deux grands biens : l’espoir et la paix.

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