Littérature française

Véronique Ovaldé

Personne n'a peur des gens qui sourient

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Une mère qui fuit avec ses filles à l’autre bout de la France quittant la douceur du Sud pour l’Alsace de son enfance. Véronique Ovaldé entraîne le lecteur dans un jeu de pistes divulguant les indices au fil de sa narration. L’air de rien mais avec la maestria et la malice d’une conteuse hors pair !

Lecteur, lectrice, si vous êtes joueurs, si vous êtes prêts à remettre sur le tapis vos gains et les certitudes acquis au fil d’une histoire, misez à fond perdu sur le nouveau roman de Véronique Ovaldé ! Personne n’a peur des gens qui sourient : son titre pourrait être le premier mantra d’un coach en développement personnel pour gérer vos relations humaines de façon sereine et harmonieuse. Il sonne comme un conseil d’ami : si tu entres dans ce livre, gare aux apparences. La scène d’ouverture est exemplaire. Une mère de famille, Gloria, a décidé de partir. Elle emporte pêle-mêle les passeports, les carnets de santé des filles, deux peluches, un peigne à poux… et vient se glisser dans ce bagage de la parfaite mère de famille prévoyante : « le Beretta de son grand amour ». Premier glissement de la réalité du récit, amplifié par une silhouette d’homme qui « passait régulièrement devant l’immeuble ». Il ne s’agit pas d’un simple départ en vacances. Gloria fuit une menace, un homme. Face aux probables questions de ses filles, une seule solution : « Il va falloir que je leur raconte d’où tout cela est parti ». Et là, nous allons faire connaissance avec Gloria, 17 ans. Serveuse sur le port de la Traînée, elle rencontre Samuel. Les codes du roman noir cèdent le pas au roman des origines, au roman d’apprentissage. Gloria n’est-elle pas née de Nadine qui « vit ses gènes de Schalck prendre le dessus et se retrouva pleine d’indifférence pour la fillette. Une malédiction des femmes Schalck. […] La culpabilité les porte à devenir agressives, démonstratives quand il ne le faut pas et insensibles le reste du temps ». Le roman alterne les scènes à Kayserheim, en Alsace, dans la maison d’enfance où personne ne viendra la chercher avec le récit du passé. La construction est implacable. Les flash-back, les souvenirs, les pensées les plus secrètes de Gloria donnent le rythme. L’histoire du grand amour s’effrite. Un mystérieux avocat, Santini, la prend sous sa coupe. Magouilleur, manipulateur ? Gloria fuit les fantômes du passé et du présent. Elle déploie un implacable sang-froid après des années de colère rentrée devenue « un béton assez dur pour que quiconque s’y brise les phalanges en y cognant les poings ». Le roman devient une plongée abyssale dans l’esprit d’une héroïne quasi hitchcockienne. Une lignée de femmes particulières, un sentiment de persécution, des indices de paranoïa, des morts qui arrangent bien ses affaires… Gloria taille sa route, « petite fille à la hache ». Mais Gloria est libre. Elle porte haut et fort les couleurs des Gloria d’Almodovar, de Cassavetes, de Gloria Swanson, la reine du muet !

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