Polar

Dolores Redondo

Le Gardien invisible

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Enquêter sur ses terres ne simplifie pas les cogitations de l’inspectrice Amaia Salazar ! Dans cette intrigue qui se déroule sur des terres basques sauvages et fermées, où les femmes sont de fortes têtes et où flottent superstitions, rancunes familiales et passé refoulé, sa perspicacité est mise à rude épreuve.

« Oublier est un acte involontaire. Plus on essaie de laisser quelque chose derrière soi, plus cette chose vous poursuit ». Quand Amaia Salazar est promue responsable de l’enquête sur les meurtres de jeunes filles à Elizondo, tout un équilibre fragile et patiemment élaboré pour échapper à son passé s’écroule. Comment elle, l’inspectrice rompue aux techniques d’investigation les plus modernes, formée aux méthodes du FBI pour traquer les tueurs en série, peut-elle être tenue en échec sur ses terres ? Ces meurtres de jeunes filles savamment mis en scène la confrontent à ses propres fantômes. Cerise sur le gâteau, le ou les meurtriers laissent sur le cadavre un petit biscuit sorti des fourneaux de l’entreprise familiale ! La souffrance, la mort, le non-dit, autant de symptômes qui gangrènent sa faculté de jugement. Quelque chose obstrue son champ d’investigation. Sous les dehors de la réussite professionnelle et affective, elle va mal. Petites boules roses pour trouver le sommeil, angoisses, cauchemars et puis cette infertilité presque inexplicable… Pourquoi a-t-elle quitté la vallée ? Pourquoi vivait-elle, petite, avec sa tante et non pas avec ses parents ? Quelles rancœurs et quelles rivalités pourrissent les relations des trois sœurs héritières de la fabrique de Txantxangorri gérée d’une main de fer par Flora ? Flora, l’archétype de « l’etxeko andreak », ces femmes de la vallée qui règnent sans partage sur leur maison et leur terre, pendant que les hommes sont trop loin ou trop faibles. Amia, fillette souffre-douleur d’une mère devenue folle, a soigneusement enfoui en elle l’indicible. Presque à son insu. L’enquête va fonctionner comme un révélateur de ses terreurs anciennes. Le Gardien invisible est un polar de territoire. Et quel terroir ! La Navarre imprègne chaque page, chaque rebondissement, et s’insinue au cœur des motivations psychologiques des personnages. La nature suinte, les odeurs exhalent le long des berges du Baztan, entre mythes locaux et résurgences historiques. Ce pays de rêves et de légendes hante les nuits de Amaia Salazar, inspectrice-chef de la section des homicides. Crime humain, dévoration animale ou monstre légendaire ? Certains affirment avoir croisé le basajaun et la mythique Maïa. Et les cartes peuvent révéler bien des secrets à celles qui prennent encore le temps d’y croire. La vallée vit des temps d’incertitude. Quand les nouvelles formules échouent, on a recours aux anciennes sous l’œil bienveillant du basajaun, un yeti local bien tempéré. Mais le monstre est peut-être tapi tout près ? Amia, avec le « contre-appui » de ses sœurs Flora et Rosaura, parviendra à remonter à la source du mal et de ses maux. La vie est désormais possible dans son corps, son cœur et son esprit. Le Gardien invisible s’annonce comme le premier tome d’une trilogie. Amia devrait revenir très vite avec de nouvelles problématiques de femme-flic et de mère basque.

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