Littérature française

Gary Victor

Maudite éducation

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Chronique de Béatrice Putégnat

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Sclérose familiale, violence politique, le jeune Carl Vaussier traîne son mal-être, s’enlise dans les bouges de Port-au-Prince et se réfugie, heureusement, dans la lecture. Il ne fait pas bon être jeune à Haïti sous la dictature Duvalier !

Dans ce roman d’initiation, en partie autobiographique, Gary Victor se livre sans fausse pudeur, n’hésitant pas à aborder des thèmes comme la sexualité quasi obsessionnelle de son double littéraire, le jeune Carl, et la violence de la dictature des années 1970. Violence des relations sociales, violence domestique dans la maison familiale avec un père hyper rigide. Pourtant, le jeune Carl trouve une échappatoire aux carcans qui l’entourent dans l’amour des mots. La bibliothèque devient son refuge. Comme un exutoire à cette violence larvée, il est obsédé par le sexe. Il fréquente avec frénésie et folie les prostituées des quartiers chauds et défavorisés. Outre le plaisir procuré, elles le font pénétrer dans un monde où les pauvres sont toujours victimes et où les femmes sont les cibles privilégiées des exploiteurs. Elles lui content un monde où la langue et l’oralité donnent à entendre les légendes, les épopées des bas-fonds. Avec les filles de son âge, Carl est coincé. Il rentre pourtant en contact épistolaire avec la belle Cœur qui Saigne. Communauté de sentiments, de pensées. Mais quand il doit faire sa connaissance, Carl s’enfuit. Il ne cessera de penser à elle. Jusqu’au jour où leur destin, et plus particulièrement celui, déjà dramatique, de la jeune fille, va croiser l’arbitraire et la violence de soldats en goguette.

Avec une écriture très personnelle, Gary Victor livre son manifeste littéraire et raconte sa naissance à la lecture et à l’écriture : les encouragements de ses parents (un certain classicisme pour son père, une plus grande ouverture du côté maternel), une initiation poétique avec Gaston Paisible. Son style est empreint des bruits de la rue, de la langue et des histoires transmises par des prostituées qui confèrent à son récit une dimension fantastique dans un pays en proie au chaos. L’écriture étant, peut-être, la seule issue possible dans un pays où votre père peut mourir à même le sol d’un hôpital situé à 333 mètres du bureau présidentiel. L’écriture comme unique voie pour échapper à sa « maudite éducation » !

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