Littérature étrangère

Antonio Lobo Antunes

Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Une construction vertigineuse, une langue âpre et poétique, une histoire violente dans un Portugal aux prises avec les fantômes de la guerre d’Angola. Le nouveau roman de Lobo Antunes est un poème d’amour et de mort.

Lecteur, abandonne tes repères ! Accepte de plonger, de te noyer, de t’engluer dans ce nouveau texte du maître de la littérature portugaise. Laisse-toi emporter, submerger par le flot ininterrompu des voix intérieures des personnages qui se coupent, s’entrechoquent, vacillent du présent au passé, ici et ailleurs, sans autre logique que celle d’une humanité mise à mal par un conflit, ressassant jusqu’à la folie la guerre, la maladie, l’amour, la vie. La narration se déploie comme une vague. Elle se fracasse dans les flash-back de scènes de torture, de massacres, dans les non-dits et les refoulements du fils, l’enfant noir adopté. Elle vient mourir doucement sur le rivage désolé de la mémoire qui se souvient de moments simples, de l’amour conjugal, de la tentation de l’amour charnel. Elle se transforme en lac sombre et hostile dont le fond est tapi des petites pierres qui gangrènent les reins puis tout le corps de l’épouse. La famille va se retrouver à l’occasion de la fête du « tue le cochon ». Quittant Lisbonne, elle regagne un petit village désolé, quelque part au pied de la montagne. Dans un Portugal rural où tout est figé, immuable face aux chaos du monde, face aux tempêtes intérieures de chacun. Le berceau familial. Là où tout a commencé. Là où l’histoire familiale, l’histoire du Portugal se heurtent. Les violences tues, les rancœurs, l’incommunicabilité explosent. D’une boucherie à l’autre, le grand corps malade du récit national et familial se vide de son sang. Ce texte est une expérience de lecture viscérale et essentielle. Un long poème, comme une épopée intérieure et guerrière sur la condition humaine. António Lobo Antunes sera publié prochainement, et de son vivant, dans la bibliothèque de la Pléiade. Un rêve de jeunesse qui devient réalité pour son œuvre poétique !

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