Littérature étrangère

Barbara Kingsolver

On m’appelle Demon Copperhead

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Chronique de Guillaume Chevalier

Librairie Mot à mot (Fontenay-sous-Bois)

Demon Copperhead est un jeune homme pauvre qui lutte pour survivre dans une Amérique qui ne laisse aucune chance aux personnes mal nées. Un pays où le rapport aux populations précaires est totalement défaillant, où l’on ne peut compter que sur soi-même ou presque. Un incontournable de ce début d’année.

Une claque. Une gifle. Un uppercut. Barbara Kingsolver frappe une fois de plus un grand coup avec ce grand roman couronné par le prix Pulitzer et le Women’s Prize for Fiction. Pensé comme une sorte de réécriture du David Copperfield de Charles Dickens cité en exergue, ce livre nous raconte à la première personne, et a posteriori, la vie de Damon Copperhead, que tout le monde appelle Demon, dans l'Amérique des années 1990. Son père est mort avant sa naissance, sa mère est toxicomane et alcoolique. Le garçon passe ses jeunes années livré à lui-même. Il se lie avec une famille de voisins, les Peggots, et notamment avec Maggot, un garçon qui a le même âge que lui. Sa mère commence à fréquenter un homme violent et la vie déjà précaire de Damon devient infernale. Finalement, sa mère meurt d’une overdose d’Oxycontin alors qu’il n’a que 11 ans. Le voilà baladé de famille d’accueil en famille d’accueil. Adolescent, menant une vie chaotique, il devient lui-même accro aux opioïdes après une blessure au football. Mais sa rencontre en parallèle avec Angus, la fille de son entraîneur de foot, va marquer un tournant dans son existence. Le début d’un renouveau ? Ce roman est une critique sociale terrible et sans filtres de la société américaine, de son incapacité à vaincre la pauvreté et surtout de son absence de réelle volonté politique en la matière, avec, en toile de fond, la terrible crise des opioïdes qui a fait des centaines de milliers de morts aux États-Unis depuis une trentaine d’années. Une critique de l’économie capitaliste qui porte une vision de la santé comme un business rentable, au détriment de toute notion d’intérêt général. Un pays où si l’on est pauvre, on ne peut compter que sur une certaine solidarité humaine et sur sa propre capacité de résilience, ce qui, bien sûr, ne suffit pas toujours. Si le fond du livre est âpre, difficile, l’entraide et l’espoir y ont quand même leur place, ce qui donne de l’équilibre au destin si émouvant de son personnage principal. La narration à la première personne sert par ailleurs à juxtaposer la laideur et la beauté du monde, tout en apportant un humour grinçant, corrosif, car Damon a la langue bien pendue et raconte son histoire avec une verve qui fait rire à de nombreuses reprises. C’est un personnage réellement attachant et attendrissant, dont le parcours de vie sonne vrai. Un roman très engagé qui réussit à divertir, à émouvoir tout en exprimant une soif inextinguible de justice sociale. L’anti-rêve américain et un énorme coup de cœur.

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