Première sélection du Prix du Style 2017
PAGE — Sa Mère, c’est l’histoire de Marie-Adélaïde, une jeune femme née sous X. Pouvez-vous nous dire qui est Marie-Adélaïde ?
Saphia Azzeddine — C’est une jeune femme qui est à la recherche de sa maman. Plus que de sa mère, elle est à la recherche d’un point d’ancrage, car à chaque fois qu’elle veut prendre son élan dans la vie, elle le fait sur des sables mouvants et elle multiplie les échecs. C’est une jeune femme en colère. C’est un livre qui parle de cette impossible réconciliation entre elle et tous les autres. Et nous sommes tour à tour, soit elle, soit tous les autres.
Saphia Azzeddine, Sa mère (Stock) from PAGE des libraires on Vimeo.
P. — Étant née sous X, son prénom a été choisi par l’officier d’état civil et Marie-Adélaïde en tire l’analyse suivante : « Je ne sais pas si l’officier d’état civil était bourré ou inspiré quand il a choisi mon prénom, mais il a fait une chose sans le savoir : il m’a donné un sursis. Née sous X, adoptée, trimballée dans des familles puis des foyers d’accueil, j’aurais dû m’appeler Malaury et tomber enceinte à quinze ans, normalement. À la place, je m’appelle Marie-Adélaïde, et je n’ai pas dit mon dernier mot. »
S. A. — Ce prénom est une seconde chance. L’officier d’état civil aurait pu ne pas s’embêter et lui donner un prénom qui commence par K que l’on peut trouver dans les séries américaines, mais ce n’est pas ce qu’il a fait. Grâce à ce prénom, elle va s’envisager autrement et, à partir du moment où l’on s’envisage autrement, les autres vous envisagent autrement. Ce prénom, c’est comme une petite étoile au-dessus de sa tête qui lui dit que tout n’est pas perdu.
P. — Il est vrai que cela va lui permettre de naviguer entre les classes sociales de manière plus aisée. Le rapport de classe est d’ailleurs l’un des thèmes forts de ce roman.
S. A. — Marie-Adélaïde méprise et dézingue les privilégiés. Au début du roman, elle est caissière à « La miche dorée », puis elle va intégrer en tant que nounou le milieu de la richesse insolente, voire insultante parfois. Et puis, pour ne pas trop se dévaloriser, dans un mécanisme d’autodéfense un peu banal, on crache parfois sur ce que l’on ne possède pas. C’est un peu ce qu’elle va faire car c’est le moyen de ne pas trop affaiblir l’estime que l’on a de nous-mêmes. Elle surnomme la femme dont elle garde les enfants « la sublime ». Elle ne veut même pas lui donner de prénom, par mépris pour elle. Cela dit, Marie-Adélaïde nous entraîne dans sa colère et nous pouvons la comprendre : cette colère n’est pas que stérile.
P. — L’autre thème omniprésent dans votre roman, c’est celui du rapport mère-fille. Les pères sont quasi absents dans cette histoire. Est-ce que, selon vous, dans ce qui touche à la famille, nous n’en voulons toujours qu’à la mère ?
S. A. — C’est évidemment fait exprès. Marie-Adélaïde n’en veut qu’à ses mères car, dit-elle, « les hommes sont déjà coupables de tout le reste, je ne vais pas les accabler de ça ». Comme on vilipende beaucoup les hommes aujourd’hui, elle décide que c’est une histoire entre mères et fille car sa mère biologique l’a portée dans son ventre, pas son père.
P. — C’est un roman extraordinairement dense que l’on peut résumer par cette quête de la place, du point d’ancrage dans la société. Mais sa densité vient également du fait de l’ambivalence du propos, de la nuance qui émerge dans la seconde moitié du roman…
S. A. — Effectivement, « la sublime », qui est appelée comme ça par mépris dans un premier temps, finit par apparaître aux yeux de Marie-Adélaïde comme innocente de sa condition, elle aussi. Car les personnes riches, à quelques exceptions près, ont juste été là au bon endroit, au bon moment. C’est quelque chose qu’elle a du mal à accepter. À titre personnel, je pense qu’ils ne sont pas totalement innocents de leurs places. Mais Marie-Adélaïde se rend bien compte que cette « sublime » chez qui elle va travailler n’est pas si mauvaise. Cette femme va même l’aider dans la recherche de sa mère biologique. La vie est un dégradé de gris, souvent sombre pour une partie de la population, celle dont Marie-Adélaïde fait partie, ceux que l’on a mis en marge de la société parce qu’ils ne se mettent pas d’eux-mêmes en marge. Ce qui m’intéresse dans ce livre, ce sont les frontières invisibles, les frontières informelles qui font que pour moi, quand je me rends dans un café parisien, je ne m’interroge pas sur quel endroit choisir. Je rentre en me disant que j’ai forcément une table qui m’attend là-bas. Pour beaucoup de gens, pour Marie-Adélaïde qui n’a pas forcément les bons codes, c’est tout une entreprise de rentrer dans un café parisien car il y a ces frontières qui vous disent que vous n’êtes pas les bienvenus. Il s’agit aussi de ça dans ce livre.
P. — Vous avez un style très direct, très percutant. Il y a peu de descriptions, vous racontez surtout vos personnages, ce sont eux que vous faites vivre. Lorsque Marie-Adélaïde parle d’un autre personnage, l’écriture est ramassée, concise, et lorsqu’elle est plus dans l’introspection, votre écriture change, s’allonge, s’adapte au propos.
S. A. — C’est une chose qui m’échappe. J’écris de manière assez instinctive. Je me suis intéressée tardivement à la littérature, et j’ai accepté l’idée que j’étais écrivaine grâce aux libraires et aux lecteurs car mes livres ont marché. Je ne suis pas à la recherche de la phrase parfaite, je suis à la recherche du souffle parfait, de la musicalité. Le ton de ce livre me trahit peut-être. Je dois être un peu plus crue et énergique que je ne le parais.