Littérature étrangère

Natsuo Kirino

L’Île de Tôkyô

illustration

Chronique de Guillaume Chevalier

Librairie Mot à mot (Fontenay-sous-Bois)

L’Île de Tôkyô ressemble à une robinsonnade bien particulière. Car sur l’île déserte où se situe l’action du roman, on ne trouve qu’une seule femme parmi la trentaine de naufragés.

Alors qu’ils effectuent une croisière en voilier, un couple échoue sur une île inhabitée. Ils sont bientôt rejoints par une vingtaine de Japonais, naufragés eux aussi, puis par une dizaine de Chinois abandonnés là par punition. Au milieu de tout cela, la seule femme de l’île : Kiyoko. Elle perd rapidement son mari, mort dans de mystérieuses circonstances, et devient un simple lot de tombola puisque c’est par tirage au sort qu’on lui assigne un nouvel époux. Dans cette situation extrême, Kiyoko est étonnamment lucide sur l’ambivalence de sa situation. À 46 ans, son statut unique est à la fois une aubaine et une malédiction. Elle méprise les hommes de ne lui conférer que le rôle d’objet sexuel, tout en jouant pleinement la carte de la séduction qui lui confère le pouvoir d’obtenir tout ce qu’elle désire de ses compagnons. Cette expérience de la dualité, entre détestation et fierté, est diaboliquement rendue à travers une écriture fluide mais toujours astucieuse. L’auteure livre également une cinglante critique de la société japonaise à travers l’échantillon des naufragés qui apparaissent dispersés et individualistes face à des Chinois solidaires, organisés et ingénieux. De nombreux bouleversements dynamisent le récit et favorisent habilement l’évolution des personnages jusqu’à une fin très émouvante. Une fois de plus, Natsuo Kirino brille avec ce livre qui nous rappelle que notre fragile vernis d’humanité menace de fondre lorsqu’elle fait face à des circonstances imprévues.

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