Littérature étrangère
Paolo Giordano
Le Corps humain
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Paolo Giordano
Le Corps humain
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
Seuil
22/08/2013
456 pages, 22 €
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Chronique de
Guillaume Chevalier
Librairie Mot à mot (Fontenay-sous-Bois) -
❤ Lu et conseillé par
4 libraire(s)
- Cloé Pollin
- Elyne Bonnet de Maison du livre (Rodez)
- Cathy Ohanessian de Murmure des mots (Brignais)
- Paule Zimba de L'Escampette (Pau)
✒ Guillaume Chevalier
(Librairie Mot à mot, Fontenay-sous-Bois)
Autant le dire tout de suite, ce roman est l’une des perles de la rentrée littéraire. L’auteur de La Solitude des nombres premiers (Points, 2010) nous plonge dans le quotidien d’un régiment de soldats italiens détaché en Afghanistan. C’est dur, ça sent la sueur et ça a un goût de Full Metal Jacket revisité.
Paolo Giordano est un grand écrivain. Ne vous fiez pas à son jeune âge, la maturité de son écriture force l’admiration. J’en veux pour preuve son aisance à nous téléporter à l’autre bout du monde, en plein désert, aux côtés de ces Italiens et de leurs états d’âme, leurs craintes, leurs angoisses. Car plus que sur l’éventuel problème moral de leur présence en Afghanistan, c’est par leurs problématiques personnelles que les personnages sont rongés. D’un chapitre à l’autre, la lumière est portée sur l’un ou l’autre des militaires composant le peloton Charlie, ce qui fait du Corps humain un roman sans véritable héros. Il y a Cederna, vaniteux, brutal, courageux. Mitrano, la tête de turc, Zampieri, seule femme du régiment, ou encore le colonel Ballesio, vulgaire et froid, et bien d’autres encore. Un véritable défi, tant au niveau du rythme du récit qui pourrait en pâtir, que de l’attachement des lecteurs envers les personnages, ou encore de la profondeur de ces derniers. Et pourtant, c’est en véritable chef d’orchestre que Paolo Giordano construit son histoire. Un protagoniste se démarque néanmoins des autres : Alessandro Egitto, lieutenant et médecin militaire, qui fuit ses propres soucis en s’engageant à l’autre bout du monde… Mais c’est la guerre, et plus particulièrement la folie qui l’entoure, qui font office de personnages principaux. Cette tension propre aux conflits armés, cette peur qui s’infiltre en chacun et s’exprime de manière diverse (couardise ou au contraire bravoure exacerbée, replis sur soi, agressivité…), sont extrêmement bien rendues, distillées au long du livre avec un réalisme qui ferait presque passer ce roman pour un reportage de guerre. L’ambiance au sein du régiment est en conséquence assez détestable, entre rivalités, bizutages, conditions de vie sommaires, nourriture infecte, misère affective et sexuelle. Plongés dans le désœuvrement, au milieu de nulle part, la vie de ces soldats est à l’image du vent sec et brûlant qui souffle dans le désert afghan. Lorsqu’enfin, le peloton se voit confier une mission à l’extérieur, c’est un véritable désastre. Les caractères se révèlent face à la peur de mourir et le roman se pare d’une dimension tragique qui laissera les lecteurs exsangues, traumatisés par l’absurdité de la guerre. Remarquable en tout point, habile, d’une intensité grandissante, ce livre au style rigoureux vous happera dès les premières pages et vous enverra sur le front au côté de Cederna, Egitto et Torsu, que vous allez apprendre à aimer, à détester, à prendre en pitié… Au final, vous vous surprendrez même à vous considérer comme l’un d’entre eux, à vous imaginer à leur place, à l’heure des choix cruciaux, vous demandant : aurais-je mieux fait dans les mêmes circonstances ? Bien entendu, la dureté de l’histoire est inhérente à son thème, mais la maîtrise de l’auteur est telle que le verdict est sans appel : vous tenez entre les mains un grand roman.