Littérature française

Corinne Royer

Ceux du lac

✒ Jean-Baptiste Hamelin

(Librairie Le Carnet à spirales, Charlieu)

Après Pleine terre, nous retrouvons avec plaisir l’écriture ciselée et poétique de Corinne Royer. De nouveau, elle donne corps, chair, âme et voix à ceux vivant dans les marges, sans heurts ni bruit.

 

Ils sont sept. Sept à vivre dans une cabane au bord d’un lac proche de Bucarest. Sept plus le chien Moroï. Une fratrie de six enfants et le père. La mère est morte, laissant une plaie béante à la surface de leur « pleine terre ». Ils vivent, pêchent, observent et respectent cette nature qui les entoure, les protège. Alors pourquoi les obliger à partir ? Avec une acuité intellectuelle incroyable, Corinne Royer s’empare de tant de sujets universels qu’il est peine perdue de les détailler ici. Tout au moins peut-on les énumérer : dépossession, confiscation, appropriation, colonialisme vert, sanctuarisation, tourisme et nature spectacle, marchandisation… Cette Roumanie chère à l’autrice est paradoxale et en cela terrain propice à la littérature d’engagement. Une terre tiraillée entre son identité forte et son appartenance à l’Union européenne, entre archaïsme et modernité, et l’on retrouve ici ses coutumes, ses croyances, ses chants, son folklore. Sasho est l’aîné. Être entier et bouleversant, il permet le lien entre la ville et ce coin en marge. Il stabilise la fratrie. Alors, quand des puissants décident de chasser ces « moins que rien » pour faire de ce lieu un sanctuaire naturel pour les touristes prompts à dégainer leurs perches à photos, Sasho se fâche. Plier et courber l’échine, ou se relever plus puissant encore pour affirmer sa liberté. Corinne Royer a choisi et s’offre, dans ce texte, une liberté d’écriture rare, se permettant de marier burlesque et tragédie, rigueur et poésie. On ressent alors l’amour qu’elle porte à ce pays, à ce peuple, aux Tziganes. Il faut absolument se laisser emporter par cette langue et cette prose libres. Cette langue sensuelle, déjà perçue dans Pleine Terre, qui évoque la terre et son rapport charnel essentiel ; cette littérature travaillée à l’établi, polie par les heures, précise et devenue rare.

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