Littérature française

Tierno Monénembo

Le Terroriste noir

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Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Soixante ans plus tard, Tierno Monénembo revient sur le courage d’un tirailleur, Addi Bâ Mamadou, et sur un pan de notre histoire trop longtemps occulté. Il projette un halo de lumière sur ces visages ébènes et, par la grâce de son écriture, fait revivre leur courage et leur détermination. Essentiel et superbe !

« — Il va crever, Hubert !

— Eh bien, qu’il crève ! »

Lorsque ce nègre – couleur de peau encore inconnue en ce village perdu des Vosges – est apparu en 1940, blessé, replié sur lui-même telle une bête, mettant dans sa survie ses dernières forces, la peur s’est immédiatement immiscée dans l’esprit de chaque habitant. Et pourtant, ce héros né en 1911 à Pelli Foulayabé, en Guinée, fut l’un des innombrables inconnus à défendre la France meurtrie. Le roman est un hommage à cet homme et à ses frères, un formidable plaidoyer en faveur d’une mémoire retrouvée, un hommage à la détermination, au courage et à la modestie de ces enrôlés volontaires, de ces tirailleurs admirables. Addi Bâ, donc, est retrouvé blessé et sans autre défense que sa prestance naturelle. Il est finalement recueilli, soigné, caché, choyé. Il retrouvera ses belles couleurs de jeune homme vigoureux auprès des femmes du village. Les faits et les rumeurs créeront alors la légende de son appétit et de sa gourmandise. Juché sur son vélo, il avale les kilomètres sans se soucier de la distance, portant ici et là des nouvelles et des ordres. Le Colonel, sommité du village, héros de la précédente guerre, a compris avant ses concitoyens peu versés dans l’art de la stratégie militaire, la force du tirailleur et sa science guerrière. Peu à peu, Addi Bâ devient, en plus de l’amant, l’aimant de tout un village, attirant à lui les premières volontés de résistance locale quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Sous ses ordres, ceux d’un tirailleur, naquit le premier maquis des Vosges. Comme ailleurs, des jeunes échappèrent ainsi au STO pour rejoindre la Résistance. Bientôt 150 jeunes gens investissent la dense forêt vosgienne, créent un camp organisé, mettent en place des annexes, des moyens de communication, et cohabitent ensemble. Sous les ordres d’Addi Bâ, ils s’entraînent, se testent et rongent leur frein dans la lassitude de journées monotones. Mais, ici, dans les Vosges, là où aucun Noir n’était jamais venu, tous font corps derrière Addi Bâ. Tous, tous sauf un. Grande gueule, insoumis, incapable de réprouver son envie d’en découdre, soupe au lait et rancunier, il causera la perte du maquis et d’Addi Bâ qui sera fusillé le 18 décembre 1943, après de longs mois d’emprisonnement et d’interrogatoires.

La narratrice de cette histoire est la jeune Berthe Laurent, qui reçoit chez elle le neveu d’Addi Bâ soixante ans après les événements, pour qu’enfin la mémoire se réveille et que les hommages unanimes à l’adresse de cet homme et de ses frères, héros de couleur, puissent être rendus. Toutefois, il aura fallu six décennies pour que, grâce au travail acharné d’historiens, irréductibles hommes et femmes à la conscience éveillée et pertinente, soit reconnue l’œuvre de ces hommes, leur vie, tout simplement. La galerie de personnages qui compose le récit, leur poids unique dans notre histoire nationale commune, paysans jamais sortis hors de la limite de leur village, sont autant de héros, de gueules, de gouaille à qui, également, Tierno Monénembo rend hommage. L’écrivain guinéen, lauréat du prix Renaudot en 2008 pour Le Roi de Kahel, dote son récit d’une émotion exceptionnelle. L’oralité des propos échangés par Berthe et le neveu d’Addi Bâ compose, aux oreilles du lecteur, cette petite musique unique des contes africains. Tel est l’enchantement de ce Terroriste noir : donner à ce récit dramatique et historique la force, le charme, la simplicité et la spontanéité d’un conte africain dans lequel les croyances, la tradition et la religion demeurent essentielles.

« On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat inconnu,

Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme. »

Léopold Sédar Senghor.

Voilà un livre essentiel que le grand poète aurait aimé, aurait défendu. Car le devoir de mémoire est un acte citoyen primordial. Je ne sais si aujourd’hui de tels actes de bravoure se reproduiraient, des actes de bravoure consistant à s’élever aux côtés de villageois qui vivent à 100 000 lieues de sa terre natale. Léopold Sédar Senghor, homme de conviction, aurait aimé lire ce Terroriste noir. Pour cela et plus encore, soyez remercié, Tierno Monénembo.

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