Bande dessinée

Joyce Farmer

Vers la sortie

illustration
photo libraire

Chronique de François-Jean Goudeau

Etablissement Scolaire ESTHUA - Université d'Angers (Angers)

Immersion clinique dans l’intimité des dernières années de deux retraités américains, Vers la sortie est une œuvre qui fera date. Témoignage (en grande partie autobiographique) du déclin physique et mental de personnes âgées et aimées, elle est remarquable pour sa description sans fard – sans jamais s’affranchir pourtant d’une tendresse, d’une pudeur 
et d’une humanité poignantes – des maux de la fin.


La banlieue sud de Los Angeles au début des années 1990. Lars et Rachel habitent une maison presque aussi décrépite que leurs propriétaires, accompagnés de leur chat, Ching, adoré d’eux seuls, et entourés des vestiges poussiéreux de leurs passions surannées : la philatélie et l’habillage de poupées. La vie semble pourtant toujours aussi merveilleuse qu’avant à l’ancien du génie ferroviaire, alors qu’imperceptiblement, la santé des vieux amants se dégrade mois après mois. Chaque jour un peu plus dépendants, ils alarment leur fille unique qui rapidement se dévouera pour les assister dans les tâches ménagères, les affaires de santé et, surtout, observera leur longue et terrible déchéance. Au programme (ni exhaustif, ni chronologique) de cette dernière : glaucome, premier accident de voiture, pertes de connaissance, visite inquiétante de Charon (le nocher des Enfers), incontinence, tissu nécrosé, monde médical incompétent et mercantile, égoïsme et négligence assassins, chutes répétées, zona, déambulateur, cancer du poumon, etc.

Vous serez tentés de croire que cet épais roman graphique est d’un sinistre et d’un glauque rédhibitoires… Grave erreur ! Car si la lassitude et la maladie gagnent inévitablement les corps, c’est le cœur qui est le héros et le vainqueur de cette aventure humaine et familiale. À commencer par celui qui est capable de jouir des quelques embellies aptes à défier encore et toujours la douleur : la magnificence d’une aube naissante, la mémoire souriante, le plaisir de la lecture, le contact du savon sur la peau, un court voyage en train avec son petit-fils… Et, par-dessus tout, celui qui continue de battre grâce à l’amour de son enfant, qui – même fatiguée et déchirée par l’émotion – change vos couches alors que 52 plus tôt, c’est vous qui les lui mettiez, et vous comble de soins affectueux. Car apprendre à mourir comme aider les êtres que l’on aime à quitter doucement ce monde, c’est comprendre enfin la beauté et la grâce fulgurantes de l’existence.

Contemporaine des grands noms du comics underground, Trina Robbins ou Robert Crumb pour ne citer qu’eux, Joyce Farmer (née en 1938) nous offre un livre puissant dont l’effet se compare à des titres tels que Fun Home d’Alison Bechdel, Sutures de David Small, ou même (j’ose l’écrire !) Maus d’Art Spiegelman. Bouleversant !

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