Littérature étrangère

Mia Couto

Terre somnambule

✒ Ophélie Drezet

(Librairie La Maison jaune, Neuville-sur-Saône)

Dans un Mozambique aride au sol imbibé de sang, Mia Couto nous conte la quête de trois personnages en fuite avec une verve foisonnante qui illustre la porosité entre la magie des légendes et la violence des hommes.

Pour cette rentrée, les éditions Métailié nous proposent une traduction revisitée brillamment par Elisabeth Monteiro Rodrigues du premier roman du grand écrivain mozambicain publié en 1992 dans son pays et en 1994 (épuisé depuis) en France ; et quel livre ! Il contient déjà toute la grandeur littéraire de Mia Couto. Nous sommes vers la fin de la guerre civile qui ravage le Mozambique depuis de nombreuses années. Tuahir, un vieil homme qui a déjà bien (trop ?) vécu, quitte un camp de réfugiés pour prendre la route, accompagné d’un jeune orphelin, Muidinga. Ils marchent sur une terre devenue aride et incertaine, et trouvent refuge dans un autocar pour dormir. Là, Muidinga ne peut pas trouver le sommeil ; à la place, il trouve un cahier. Alors, il lit à voix haute. Il découvre, dans les pages du cahier, un personnage, Kindzu, sa quête d’identité, et un pays en pleine recherche de sens après une indépendance gagnée dans le sang. Kindzu court après les naparamas, des guerriers traditionnels qui pourraient le sauver ainsi que son pays. Les trois hommes, ancrés dans deux récits différents, croisent des familles éclatées, des êtres ravagés, mais leur espérance les pousse à toujours continuer. Et leur odyssée ne se fait pas sans magie, dont le texte est parsemé. La merveilleuse langue de l’auteur, pleine de néologismes flamboyants, associe la richesse archaïque des traditions du pays à un onirisme merveilleux : les morts flottent aux côtés des vivants et les anciennes légendes prennent corps dans la violence du présent. La « terre somnambule », c’est un pays où les Anciens, leurs mythes et leur cosmogonie accompagnent la quête, même dans la violence, d’un pays à la recherche de sa propre image pour que, quand le jour se lèvera, il ait pu devenir lui-même sans avoir renié sa culture millénaire.

Les autres chroniques du libraire