Quelle est l’histoire de ce roman ?
Mathilde Henzelin La thématique principale est le rapport que Victoire entretient avec l'addiction et les drogues dites « festives ». Au fil des années, Victoire va s'interroger, vivre des événements plus ou moins marquants qui vont façonner sa vision du monde et d'elle-même.
Victoire n’a pas du tout l'image qu'on a d'une droguée ; elle en prend simplement lors de fêtes.
M. H. J'ai voulu parler de cette typologie d'addiction que je trouvais assez peu présente dans la fiction alors que c'est un mode de consommation extrêmement répandu. Il peut passer inaperçu car il se révèle moins désocialisant que d'autres manières d’avoir recours à des stupéfiants et ne détruit pas complètement les gens physiquement. S’installe néanmoins chez ce type de consommateurs une véritable rupture entre le monde réel et le monde des soirées. Il y a toujours une tension entre ces deux univers. Victoire va se demander tout au long du livre ce qu’est la réalité : s’agit-il de ces sensations qu’elle vit en boîte de nuit, intenses et fortes, et des rencontres qu’elle y fait qui lui semblent tellement vraies ? Ou est-ce cette vie au bureau, avec un travail qui ne l'intéresse pas tellement ? Et puis, à un autre moment, elle va se demander si ce n'est pas le monde de la nuit qui est une illusion.
Victoire est un être fracturé entre le jour et la nuit, entre la vie d'adulte et la liberté. Est-elle la représentation d'une jeunesse qui a du mal à trouver sa place ?
M. H. Je pense que Victoire est assez représentative de sa génération. Mais elle n'est qu'un personnage, elle ne représente qu'elle-même. Elle est encore un peu empêtrée dans l'enfance. J'ai pensé ce roman comme un roman d'apprentissage. Mais finalement, être adulte, ce n'est pas les normes auxquelles elle pensait et qu'elle rejetait. C’est peut-être une autre voie.
On a l'impression qu'elle s'attendait, en étant adulte, à être pleinement elle-même et heureuse, alors qu'en réalité elle paraît juste stable.
M. H. C'est quelqu'un qui a du mal à affronter la vie. Je reviens à cette idée de tension entre une vie réelle et une vie qui serait fausse. À la fin, pour moi, l'accession de Victoire à l'âge adulte se fait par la réalisation de l’un de ses désirs.
Quel est le rapport de Victoire aux autres ?
M. H. Parmi les raisons qui poussent certaines personnes à se droguer, on trouve la volonté de se faire des amis, de nouer des relations. Victoire parle avec des gens qui lui confient des choses sous l’effet de substances. L'un des effets de la drogue qu'elle préfère : que les gens se livrent complètement. Mais s’agit-il de vraies relations ? Qu'est-ce qui les lie entre eux ?
Quand vous décrivez la boîte de nuit à Berlin, on sent la sueur. Et quand Victoire danse, nous dansons aussi. Pourquoi avez-vous voulu donner cette place-là à la sensation physique ?
M. H. Parce qu'elle est complètement au centre du rapport qu'on peut avoir avec la drogue. C'était important pour moi de montrer toutes les facettes de l'addiction. Souvent, je trouve que dans les fictions, il y a plusieurs écueils : soit la diabolisation, soit la « glamourisation » totale de cette pratique. J'avais envie d’aborder cette réalité sans la banaliser pour autant. Je voulais montrer une facette dorée de la drogue, que les gens comprennent pourquoi les autres en prennent. Dans le premier chapitre, elle écoute des couleurs et elle voit des sons. Ne serait-ce que pour montrer à quel point il peut être aussi difficile d'accepter la face sombre de l'addiction.
Elle se rend compte à un moment donné qu'elle a un problème mais ses amis, eux, paraissent ne pas se poser toutes ces questions. Sont-il le modèle d'une autre forme d’addiction ?
M. H. Je voulais aussi montrer que c'est une pratique qui est très personnelle. Victoire va se rendre compte que c'est un frein dans sa vie, que ça l'empêche de construire des choses, d'investir le quotidien, de s'interroger sur ses désirs ; ça l'empêche de vivre tout simplement, contrairement à certains de ses amis qui restent dans cet état. Elle en vient d’ailleurs à les juger un peu malgré elle. Je voulais montrer différents modèles.
Entre ses 25 et ses 30 ans, Victoire, notre héroïne, n’a que des interrogations et très peu de réponses. Elle travaille la semaine dans une boîte tout à fait inintéressante en essayant d’avoir une routine d’adulte. Le vendredi, elle se rend avec ses potes dans les boîtes techno de Berlin pour danser, suer et se shooter. D’abord, Victoire se pense invincible. Mais les doutes ne sont jamais enfouis très loin, sa quête perpétuelle d’identité non plus. Quel est le sens de cette existence articulée autour de ses « amis » de défonce et de ses collègues sans intérêt, et qui ne parvient pas à rehausser la pâleur du quotidien ? Puis elle grandit, mûrit, vit et va trouver, peut-être, enfin, des débuts de réponses là où elle ne l’imaginait pas.