Littérature étrangère

Courtney Collins

Sous la terre

illustration
photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Véritablement habitée par la figure de Jessie Hickman, bush ranger détonante dans l’Australie des années 1920, Courtney Collins donne chair et âme à une figure oubliée de l’Histoire australienne. Un premier roman époustouflant par son style et sa poésie, bourré d’émotions et de rebondissements !

Imaginez un feu de bois dans une nature sauvage et magnifique, une timbale en ferraille remplie de mauvais whisky ou de café, une ballade nostalgique jouée en sourdine… et vous voilà transportés dans le bush australien sur la piste de Jessie Hickman, une vieille légende tombée dans les oubliettes de l’Histoire. Un peu chaman quand elle déterre ce qui était devenu invisible, un peu troubadour quand elle nous emmène dans une longue cavale à cheval, Courtney Collins s’affirme comme une conteuse experte et inspirée. Le lecteur est pris à la gorge dès le début, tremble et sue dans une longue chevauchée qui le laisse pantelant et vidé. Et puis soudain, c’est déjà la fin. Entre illusion et facétie, comme un pied de nez final de Jessie à ses poursuivants ! Sous la terre est un superbe portrait de femme qui gagne sa liberté en dehors des lois du monde, de la morale et des hommes. Une aventurière sans toit ni loi, férocement libre, qui entre par la belle porte du roman dans la grande Histoire de l’Australie.

 

Page — Sous la terre raconte l’histoire d’une légende bien réelle du bush australien, Jessie Hickman. Qu’est-ce qui vous a attiré dans son histoire au point d’en faire un personnage de roman, de transcender sa réalité ?
Courtney Collins — J’ai grandi dans la Hunter valley. Petite, j’entendais parler de cette femme qui avait vécu dans une grotte et avait réalisé des choses abominables. Son histoire faisait partie du folklore local. Puis j’ai déménagé. Je l’ai complètement oubliée. Un jour, par hasard, je suis revenue travailler dans ma région natale, animer des ateliers d’écriture créative. Et toute son histoire m’est revenue. Face aux paysages, cette histoire ne m’a plus lâchée. J’ai commencé à faire des recherches. Quand j’ai retrouvé la photo de police de son arrestation, je me suis dit : « ça y’est, j’y suis ». Je l’ai collée au mur. Elle me regardait, c’était parti. J’étais envoûtée. Elle m’a traquée, elle aussi ! Plus qu’intriguée, j’étais obsédée par la figure de Jessie Hickman. Et complètement stupéfaite aussi à l’idée que cette histoire ne soit pas plus connue. Elle était connue localement, mais ne faisait pas partie de l’Histoire de l’Australie. Je pense que c’est un morceau manquant de notre patrimoine culturel. On a des mythes fondateurs très masculins en Australie qui sont répétés à l’envi. Une petite minorité monopolise le discours de l’Histoire officielle qui permet de maintenir un commode statu quo. Le jour de la fête nationale célébrant le débarquement du capitaine Cook est, de plus en plus depuis une vingtaine d’années, considéré comme le jour de l’envahisseur. On change de point de vue. Il y avait une urgence. L’histoire de Jessie est enterrée. En faisant des recherches, je me suis aperçu qu’il y avait une foule d’histoires qui étaient, elles aussi, enterrées et cachées. L’histoire de Jack Brown est aussi celle de tous ces aborigènes qui ont participé à la guerre mais n’ont pas été reconnus officiellement comme combattant par l’État australien et qui, ensuite, ont travaillé dans des conditions très difficiles. Il y a aussi l’histoire des femmes auxquelles on rasait la tête pour les faire passer pour des hommes. Elles s’occupaient du bétail la journée. Le soir, on les forçait à se prostituer. Mobilisées, jour et nuit ! De même que le personnage du sergent héroïnomane n’est pas complètement exceptionnel. Toutes ces histoires sont là, présentes. Il faut juste les chercher, les déterrer.

RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DE CET ENTRETIEN EN PAGE 96 DU N° 162 DE VOTRE REVUE PAGE DES LIBRAIRES

 

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