Littérature française

Hubert Haddad

Opium Poppy

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photo libraire

Chronique de Mélanie Le Loupp

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Comment peut-on perdre toute humanité alors qu’on est encore un enfant ? À quoi doit-on la perte de l’innocence ? Pourquoi aucune rédemption n’est-elle possible ? 
Le nouveau roman d’Hubert Haddad s’attache à répondre à ces quelques questions. Un roman bouleversant.

« L’amour ne pleure jamais comme pleure le sang ». C’est sur cette certitude que se base le nouveau roman d’Hubert Haddad, un récit tout à la fois tragique, réaliste et percutant. En Afghanistan, au cœur d’un pays déchiré, un jeune garçon est découvert inconscient après une salve de tirs. Dès lors, le lecteur suit une obsédante descente aux enfers comparable à celle d’Orphée dans la mythologie grecque. Celui qui se nomme Alam a tout perdu pendant la guerre, jusqu’à ce prénom qu’il a emprunté à son frère, qui lui, n’a pas survécu à la barbarie dont est capable l’homme. Alam entame une fuite vers un monde qui le déleste peu à peu de son enfance. Se sentant traqué comme une bête, n’ayant de place désormais nulle part puisqu’il n’a plus de famille, il termine sa route en banlieue parisienne auprès de drogués et de petites frappes. Poppy, une toxicomane avec qui il se lie d’amitié, représente alors pour lui un remède contre le pire. Un mirage d’humanité leur semble à l’un et l’autre encore possible. En vain… Car où qu’il aille, la violence et le sang le poursuivent. C’est ainsi qu’au contact trop précoce de la guerre et des adultes sans scrupules, l’enfant perd son enfance et son innocence. De ce fait, Alam devient une arme terrible parce qu’il est perdu. Très proche de Palestine, précédent livre d’Hubert Haddad, Opium Poppy est l’un des romans incontournables de la rentrée littéraire. Hubert Haddad saisit à la fois le portrait d’un enfant et celui d’une société dont le lecteur n’a pas à être fier. La beauté et la candeur sont les premiers à être éjectés d’un monde dépeint par Hubert Haddad avec un réalisme ravageur. C’est aussi une leçon d’empathie autant qu’un appel au civisme du lecteur que lance l’écrivain lorsqu’il met en avant les articles 13 et 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence (…) et de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres pays. » Hubert Haddad tente d’ouvrir les yeux de son lecteur. La chute dramatique du récit permet à l’auteur de prolonger sa réflexion sur les victimes de l’inhumanité. Cet enfant, dont la candeur au début du roman est presque touchante, devient une bombe à retardement dès lors qu’il n’a plus de cadre, de famille, d’amour, de toit… Lui que l’on nommait l’Évanoui en Afghanistan parce qu’il avait perdu connaissance lors de sa circoncision, finit par s’évanouir en même temps que toute chance de clémence. Le style d’Hubert Haddad, sublime de maîtrise et de poésie, accompagne le personnage. Le lecteur ne retrouvera pas le lyrisme de Géométrie d’un rêve, non, juste un ton parfaitement en accord avec ce jeune garçon perdu au milieu du pire. C’est une réflexion, un coup de poing, une balle dans le cœur que ce roman.