Littérature étrangère

Henry Roth

Un Américain, un vrai

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photo libraire

Chronique de Mélanie Le Loupp

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« Il m’est venu à l’esprit que la maturité d’un individu capitaliste valait mieux que rien […]. Mieux que l’immaturité d’un marxiste à la noix ». C’est à cette conclusion que se livre Henry Roth dans son superbe récit Un Américain, un vrai enfin publié aux éditions de L’Olivier.

Alors qu’Ira Stigman se rend à une sorte de stage pour artistes en devenir, il y rencontre M. qui va bouleverser sa vie et son mode de pensée. Ira a jusque-là vécu entretenu par Edith, sa riche maîtresse plus âgée que lui. Pétri par son héritage culturel juif orthodoxe, cet homme de 33 ans se débat mollement dans sa factice vie d’artiste. En effet, Ira a écrit un roman, vite oublié par la critique et relégué rapidement dans les oubliettes au moment où son éditeur fait faillite. Tout aurait pu continuer longtemps ainsi, dans son douillet mal-être, s’il n’était pas tombé fou amoureux de M. Tel un électrochoc, sa rencontre le pousse à envoyer balader sa vie et à remettre en cause le système dans lequel il n’était pas heureux jusque-là. M. est une jeune pianiste, une Américaine typique de Boston, de famille bourgeoise. Pour être à la hauteur de cette nouvelle relation, Ira s’impose un parcours initiatique. Il quitte Edith et part sur la route en direction de Los Angeles où il espère gagner sa vie. Accompagné de Bill, un ami communiste, il va errer, se chercher, pousser ses limites pour se prouver ce dont il est capable ou au contraire incapable… Enfin, lassé et désireux de retrouver à tout prix celle qu’il aime, Ira retourne à New York au cours d’un road trip digne de Kerouac. C’est finalement à Manhattan qu’il se marie avec sa dulcinée, non sans être la proie de quelques dilemmes intérieurs. Dans Un Américain, un vrai, Henry Roth livre une autobiographie aux accents magnifiques d’histoire d’amour et de questionnements existentiels. C’est à la fin de sa vie qu’Henry Roth a entamé l’écriture de plusieurs tomes sur son parcours. Il s’est malheureusement arrêté au quatrième, alors qu’il comptait en réaliser six. Ses récits ne sont pas seulement l’histoire de sa vie, ils retracent avant tout l’histoire de sa terre d’accueil : l’Amérique. Sa famille, originaire d’Europe de l’Est, a émigré à New York alors qu’il avait 2 ans et, son enfance durant, Henry Roth a parlé yiddish. La double culture de l’écrivain le pousse très vite à cerner ce qui l’entoure avec un regard différent, à sans cesse se poser des questions (Woody Allen est certainement son digne héritier), à regarder le monde qui l’entoure sous un angle social (sa référence aux Raisins de la colère de Steinbeck est mémorable). À la lecture de ce récit, on ne peut que penser à La Route de Kerouac. D’ailleurs, Henry Roth aurait-il inspiré ce jeune Canadien ? Bref, l’existentialisme d’Henry Roth et son parti pris pour les communistes alors que l’Europe se déchire au loin sous la hargne d’Hitler, font de ce roman un pilier de la littérature américaine. Il n’y a pas à en douter, Henry Roth, à travers son touchant double Ira Stigman, est un Américain, un vrai, dans toute sa difficulté à exister face à son passé, son présent et son futur, sur une terre d’accueil pleine de promesses et de misères.