Littérature étrangère

Adalet Agaoglu , Leylâ Erbil , Furuzan

Sur les rives du soleil

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Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Comprendre ou essayer d’appréhender un pays à travers sa littérature, telle peut être la sensation dégagée par la lecture de deux superbes « pavés » de fiction mitonnés par les éditions Galaade, dont la réussite résulte de la diversité exceptionnelle des auteurs choisis, pour certains jamais traduits.

Ayfer Tunç est une des voix importantes de la jeune génération d’écrivains turcs. Elle tord le coup aux poncifs occidentaux qui ne voient en cette littérature, entre Asie et Europe, que le charme suranné ou la barbarie rampante d’un pays non développé. Elle se bat, moderne témoin de son pays en (r)évolution, pour offrir un visage autre : celui d’une génération talentueuse, libre et originale. Son roman, Nuit d’absinthe, en est le parfait exemple. Son héroïne, une belle femme d’une quarantaine d’année, traîne comme un fardeau une expérience vécue de nombreuses années auparavant : avoir posée nue pour un magazine. Sa vie est alors confrontée sans cesse à cet interdit qu’elle a osé braver, aux non-dits permanents, à une peur incessante. Son mari, Osman, falot héritier désormais sans le sou, pauvre musicien sans réel talent, erre dans la vie, se laissant porter par le vent et par l’assurance néfaste de son frère, homme d’affaires plus ou moins malhonnête. Cette femme, profondément moderne et assoiffée de liberté et de justice, osera, par un acte fort, faire exploser le carcan qui l’entoure. Elle osera alors affronter à visage découvert une société bien trop machiste. Ayfer Tunç étonne par son originalité d’écriture et de ton, et donne à son roman la force et l’intensité d’un drame. Nous retrouvons Ayfer Tunç dans cette magnifique et hétérogène anthologie, Sur les rives du soleil, entourée de quinze écrivains turcs aux sensibilités totalement différentes. Le charme et l’attrait de cette somme littéraire résultent d’une certaine forme de courage éditorial. Publié sur l’initiative du CNL et avec son concours, cette anthologie démontre que l’aura de la littérature turque dépasse de beaucoup les différents clivages qui alourdissent le ciel aux abords du Bosphore. Terriblement d’actualité, Sur les rives du soleil se tourne résolument vers l’avenir. La découverte est le maître mot de ce projet comme pour mieux affirmer que cette littérature bercée de mythes ne se résume pas seulement à Pamuk, Kemal et Hikmet. Oscillant entre deux pôles manifestes, Istanbul et l’Anatolie, cette force littéraire semble totalement nourrie de la richesse née de la diversité de cultures, langues, vies. Cette richesse turque, à nulle autre pareille, est particulièrement bien exprimée par Timour Muhidine, dans sa pertinente et enthousiasmante introduction. Cette anthologie paraît alors que la Turquie se retrouve sur le devant de la scène internationale. Il serait aisé d’y percevoir une opportuniste coïncidence. Il paraît plus habile d’y trouver, non des réponses, mais des voix, nombreuses, plurielles, différentes et parfois marginales. Ces voix qui permettent aux Occidentaux d’enfin comprendre que la Turquie, comme d’autres récents pays révolutionnaires, se nourrit d’un feu créatif foisonnant, et que l’avenir qui se joue aujourd’hui et nous apparaît seulement, se construit depuis fort longtemps. Cette anthologie est une magnifique invitation sur les rives du soleil.

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