Littérature étrangère

Karina Sainz Borgo

Le Tiers Pays

✒ Manuel Hirbec

(Librairie La Buissonnière, Yvetot)

Entre thriller, western latino, comédie rocambolesque et tragédie antique, Karina Sainz Borgo signe un affolant roman qui est à l'image de ses personnages, plein de souffle, de caractère et d'originalité.

Alors qu'une étrange épidémie se répand dangereusement, Angustias Romero quitte son pays avec sa famille dans l'espoir de trouver un ciel plus clément de l'autre côté de la frontière. Épuisée et complètement perdue après une tragique traversée entre Sierra occidentale et Sierra orientale, elle n'a plus d'autre idée en tête que de donner une digne sépulture à ses enfants qui n'ont pas survécu et de rejoindre le Tiers Pays, un cimetière illégal dont elle a entendu parler de proche en proche, fondé et tenu par Visitación Salazar, une femme extravagante et déterminée, à l'aura déjà légendaire. Comme une Antigone qui reconnaîtrait sa petite sœur dans un terrain vague, Visitación accueille Angustias dans cet entre-deux du monde et lui offre sa compassion et son amitié là où les morts peuvent enfin reposer mais où les jours des vivants ne sont pas de tout repos. Car le Tiers Pays, cette périphérie de la périphérie, cet ultime refuge des laissés-pour-compte, aussi illégal et clandestin qu'il soit, ouvre les insatiables appétits fonciers de tous les prédateurs de la région, potentats locaux corrompus quand ils ne sont pas corrupteurs, guérilleros et narcotrafiquants dingues et violents, tous mus par l'avidité, le pouvoir et le désir de domination. Le roman s'emballe alors follement, bascule, dérape, accélère, s'engage dans des courses-poursuites et des chausse-trappes, se fait une puissante critique sociale et politique sans jamais quitter l'émotion initiale, porté par un souffle endiablé qui joue de tous les genres. Car les deux amies résistent à tous, par-dessus tout et ne s'en laissent pas compter, défendant becs et ongles ce lieu devenu sacré, cet autre monde encore possible, où prendre soin des corps et offrir un dernier accueil aux morts préserve l'humanité d'elle-même.

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