Littérature française

Diadié Dembélé

Une périlleuse aventure

L'entretien par Manuel Hirbec

Librairie La Buissonnière (Yvetot)

Conteur au rythme endiablé et à la langue virevoltante, Manthia fait entendre sa voix pimentée d'expressions savoureuses et d'images colorées. Il nous raconte sa périlleuse aventure en compagnie de son ami Toko, poussés dans les années 1990 à quitter leur village rural pour Bamako puis à migrer en France.

Qui sont ces deux hommes ?

Diadié Dembélé - Manthia vient d'une famille déclassée socialement et Toko est issu d'une grande famille. À la vingtaine, ils vont être confrontés à des événements qui vont les pousser à prendre des décisions, parfois contraires, parfois similaires, mais qui ne donneront pas les mêmes résultats.

 

En quoi sont-ils grands ?

D. D. - Je pense qu'à un certain âge qui est encore le mien, avant la trentaine en tout cas, si on a quitté l'adolescence avec son lot d'insouciance et peut-être parfois de rébellion inutile, on n'est pas encore un adulte accompli parce qu'on nous appelle toujours « jeune homme, jeune femme ». Quand, à cet âge, on est confronté à des difficultés et qu'on parvient malgré tout à ne pas tout abandonner et à ne pas se lamenter, alors on est grand. L'ensemble du titre est la traduction littérale d'une expression en bambara qui désigne les courageux, les gens qui continuent malgré les difficultés.

 

En quoi leur histoire est-elle une « aventure » ?

D. D. - C'est un mot que j'ai choisi pour ne pas désigner la condition d'immigré, de migrant, d'exilé. Les Africains de l'Ouest francophones utilisent ainsi ce mot d'aventure qui recèle quelque chose de mystérieux, d'inconnu, de réjouissant aussi parfois.

 

D'où partent-ils ? Où arrivent-ils ?

D. D. - Ils partent d'abord de leur village que j'ai situé dans la région de Kayes où il y a une forte émigration depuis que la sécheresse a frappé dans les années 1970. Ils en partent dans les années 1990 pour se rendre à Bamako en pensant qu'ils pourraient s'en sortir par cet exode rural. Mais cela coïncide avec la Révolution de mars 1991, un soulèvement contre le régime militaire de l'époque. Pour eux, tout bascule.

 

Comment leur périlleuse aventure se poursuit-elle ?

D. D. - Toko a le goût de l'aventure. Il est le personnage qui veut voyager et qui a l'opportunité de partir. Pour Manthia, c'est le dernier recours. Ils arrivent tous les deux à Paris et se rendent compte que le cousin qui a prétendu avoir un grand appartement est hébergé lui-même dans un foyer pour migrants et qu'il va falloir qu'il leur trouve une place. Une forme de désillusion les prend. Toko tente de s'accrocher et de se faire des amis. Mais Manthia se sent floué. Il n'a pas demandé à être là, on l'a contraint à venir et cela ne se passe pas bien.

 

D'où parle Manthia et à qui s'adresse-t-il ?

D. D. - Manthia parle depuis un centre de rétention administratif où sont retenus les étrangers qui ont une obligation de quitter le territoire. Dans ces centres, ils ont quand même des droits, celui d'être assisté par un avocat, celui de pouvoir voir un médecin, d'avoir recours à un interprète si jamais ils sont allophones. Dans le cas de Manthia, il se trouve qu'il ne parle pas très bien le français, malgré tous les efforts qu'il a faits. Il s'adresse à l'interprète qui est comme transpercé par sa parole et parfois à l'avocat avec une espèce de colère parce qu'il ne comprend pas pour quelle raison on l'enferme là alors qu'il estime n'avoir rien commis de mal.

 

Cette aventure se déroule dans les années 1990. Est-ce si différent aujourd'hui pour les émigrés arrivant en France ?

D. D. - Des choses se sont améliorées. Mais ce qui n'a peut-être pas changé, ce sont des hommes ou des femmes politiques qui essayent de capitaliser sur une forme de bouc-émissairisation des étrangers qui seraient tout le temps la cause du malheur de ceux qui vivent en France alors que ce sont souvent des gens qui n'ont jamais voulu quitter leur pays, parce qu'on ne part pas de son pays dans certaines conditions si on n'y est pas obligé. Ces gens quittent leur pays et viennent travailler en France ou dans d'autres pays européens avec l'idée de gagner de l'argent pour pouvoir se prendre en charge et prendre en charge leur famille. Si on se retrouve en situation d'être étranger dans un pays, cela ne veut pas dire qu'on n'a pas un pays à soi, cela ne veut pas dire qu'on n'a pas une maison à soi, ce sont juste les circonstances qui font qu'on se déplace.

 

Originaires du même village, Manthia et Toko, âgés de 20 ans, sont comme deux frères. Face à une nouvelle récolte infructueuse, alors que Manthia ne veut pas et que Toko en rêve, ils n’ont pas le choix : il faut partir. S’ils ne sont pas issus du même milieu familial et social, et si leurs espoirs divergent, les circonstances les poussent à suivre ensemble l'aventure jusqu'en France tout en la vivant différemment. Alliant la créativité de l'écrit à la vivacité de l'oral, Diadié Dembélé enchante avec un roman à la langue vivace, drôle et inventive dont l'explosivité poétique enrichit la langue française d'un joyeux pied de nez littéraire aux esprits grincheux porteurs d'idées reçues sur l'immigration.