Littérature étrangère
Jeffrey Eugenides
Le Roman du mariage
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Jeffrey Eugenides
Le Roman du mariage
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis
L'Olivier
03/01/2013
560 pages, 24 €
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Chronique de
Coline Hugel
- ❤ Lu et conseillé par 29 libraire(s)
✒ Coline Hugel
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L’un est beau, charismatique, intelligent, apprécié de tous. L’autre est plus que brillant, décalé et atypique. L’un et l’autre l’aiment, elle, qui est superbe, fraîche, douée. Le Roman du mariage ou une énième variation de l’éternel triangle amoureux ? Ce n’est pas si simple que ça...
Pour les étudiants de l’université de Brown (Providence, Rhode Island), cette matinée de juin ensoleillée est synonyme de joie et de remises de diplômes. Pour Madeleine, elle a plutôt un goût de gueule de bois et de remords, après une nuit de débauche. Accompagnée d’un père discret et boitillant (séquelle d’un match de tennis) et d’une mère « émerveillée par l’apparat déployé », elle s’apprête à affronter une journée qui s’annonce difficile, à l’image du début de sa vie d’adulte. L’avenir tout tracé qui l’attendait, rêvé par ses parents, s’effrite au fil des heures. En peu de temps, Madeleine va faire des choix qui marqueront sa vie à jamais.
Après l’étude approfondie des liens qui unissent une fratrie dans Virgin suicides, après l’analyse introspective d’un hermaphrodite en quête de ses origines dans Middlesex, Eugenides dissèque les rapports de trois jeunes adultes en devenir dans la bouillonnante Amérique des années 1980. Madeleine est belle, jeune diplômée, promise à un bel avenir, mais elle aime Leonard. Leonard est attirant, intelligent, charmeur mais maniaco-dépressif. Et il y a aussi Mitchell, garçon un peu désuet, brillant, passionné par la théologie et par... Madeleine ! Madeleine aime la littérature et étudie la question du mariage dans le roman anglais du xixe siècle. Elle aime aussi Roland Barthes et ses Fragments d’un discours amoureux qu’elle ressasse à l’envi tandis qu’elle rompt avec Leonard. Leonard, lui, se passionne pour les sciences et se prépare à travailler dans un labo pour cultiver des levures. Et Mitchell fuit cet engrenage amoureux et part en Inde avec son meilleur ami.
Il y a du Philip Roth dans cette ambiance des campus américains, mais avec un côté moins grinçant, moins ironique. Madeleine est le personnage central et lumineux de ce jonglage amoureux, elle pourrait se contenter d’être belle et brillante, la petite amie parfaite, mais elle est aussi incroyablement sensible, fidèle, obstinée, équilibrée. Il lui faudra toutes ces qualités pour réussir à convaincre Leonard qu’elle l’aime vraiment et qu’elle veut absolument vivre avec lui. Il a les nerfs à fleur de peau, il est fragile et gère mal ses émotions : « Tu te souviens, le jour où tu m’as dit que tu m’aimais ? Tu te souviens ? Tu vois, toi, tu pouvais te le permettre car tu es fondamentalement quelqu’un de sain, qui a grandi dans une famille saine et aimante. Tu peux te permettre de prendre ce genre de risque. Mais dans ma famille, on ne se disait pas qu’on s’aimait. Nous, on se criait dessus. Alors qu’est-ce que je fais, quand tu me dis que tu m’aimes ? Je tourne la chose en dérision en te jetant Roland Barthes à la figure. » Le couple qu’ils construiront ira bon an mal an, fragilisé par les rechutes de Leonard et la volonté de la mère de Madeleine de les séparer. Mais Madeleine s’accroche et persiste. Pendant ce temps, Mitchell apprend la vie sur la route. Après un bref séjour parisien, il arpente l’Europe avec Larry, satisfaisant sa crise de mysticisme en visitant chaque église, chapelle ou cathédrale qui se dresse sur sa route. Ses livres de chevet se composent des œuvres de saint Augustin, de Thérèse d’Avila ou de Tolstoï. Arrivé en Inde, il s’installe à Calcutta et travaille bénévolement au Foyer des mourants de mère Teresa. Il y apprend la misère, la maladie, la saleté et l’irréparable.
Leonard, Mitchell, Madeleine, trois jeunes gens qui deviennent adultes en un été, trois parcours de vie qui s’entremêlent, trois personnages forts et denses, voilà le sujet principal de ce roman tant attendu (presque dix ans depuis l’excellent Middlesex qui avait reçu le prix Pulitzer). Il y a beaucoup de justesse et beaucoup d’émotions dans les mots d’Eugenides. Ses personnages qui ne savent pas trop comment grandir sont beaux et attachants, et on se plaît à plonger avec eux dans les affres de la vie. Un vrai bonheur de lecture !