PAGE : Maria Ernestam, j’ai adoré vous lire ! J’ai passé de merveilleux moments en compagnie d’Eva, je me rappelle encore le grand plaisir que j’ai éprouvé à retrouver cette lecture chaque soir ! J’ai lu depuis Toujours avec toi (également publié chez Gaïa), que j’ai aussi énormément aimé (j’aime le comparer à un coucher de soleil après un gros orage !). Vraiment, vous rencontrer a été une très grande joie et une très belle découverte. Dans votre précédent roman, Toujours avec toi , votre héroïne se reconstruit suite à un deuil en découvrant son histoire familiale. Dans Les Oreilles de Buster , Eva apprend à s’accepter en écrivant l’histoire de sa vie et en avouant enfin tous ses secrets les plus profondément enfouis. Le passé a donc une importance particulière pour vous ? Et le fait qu’il soit ainsi caché ?
Maria Ernestam : Je pense que nous sommes tous la résultante de notre passé, et cela sur plusieurs générations en arrière. Je suis directement influencée par mes parents et eux-mêmes sont évidemment influencés par ceux qui les ont mis au monde, mes grands-parents. Et ainsi de suite. Je pense que nous gagnons tous beaucoup à apprendre sur notre passé et sur les générations qui nous ont précédées. C’est ainsi que nous obtenons nos propres clés et que nous apprenons à mieux connaître nos caractères. J’ai été particulièrement chanceuse que mes quatre grands-parents vivent longtemps, j’ai ainsi eu du temps pour parler avec eux, rester auprès d’eux, écouter leurs histoires. Ce qui est très intéressant, c’est que j’ai appris des choses d’eux que mes parents n’ont jamais sues. De plus, je pense que chaque famille a ses secrets, des choses dont personne ne parle. Mais le silence peut avoir des conséquences bien plus lourdes que l’honnêteté et peut faire beaucoup plus de dommages. En particulier parce que la vérité a tendance à être connue tôt ou tard. Je trouve cela intéressant, c’est la raison pour laquelle j’y reviens dans la plupart de mes livres.
P. : Votre Eva est forte, puissante, imposante, et pourtant on lui découvre assez vite des failles, des instants de faiblesse. D’où vient-elle ? Avez-vous mis une part importante de vous-même dans ce beau personnage ?
M. E. : Eva est un personnage qui m’a été inspiré par plusieurs femmes de ma famille, du côté de ma mère comme de celui de mon père. On me questionne parfois sur les femmes fortes dans mes livres, et je réponds toujours que je ne réalise pas qu’elles sont si fortes, parce que c’est avec ce type de femmes que j’ai grandi. Mes deux grands-mères ont travaillé, l’une d’elles était une très bonne professeur de français et d’allemand, et l’autre avait son propre salon de coiffure. Et c’était dans les années 1920, 1930 ! Ma mère a aussi toujours travaillé, donc je n’ai jamais pu envisager que les choses puissent se passer autrement qu’en travaillant. Elles disaient vraiment ce qu’elles pensaient. Je me rappelle un jour où ma mère parlait de la libération des femmes, et mon père, un homme très doux, a dit : « mais où sont-elles toutes ces femmes opprimées ? Je n’en vois aucune dans les alentours ! » Ils étaient tous plein d’humour. J’aime à penser que j’ai hérité de cet humour… mais ça, c’est aux autres de le dire.
P. : La relation indescriptible de haine-amour qu’il y a entre Eva et sa mère est extrêmement complexe et déroutante, elle est l’essence même d’Eva. Comment en êtes-vous venue à construire une telle relation ?
M. E. : J’ai écrit Les Oreilles de Buster après la mort de la mère de ma mère. Elle avait 94 ans quand elle est partie, et j’ai passé beaucoup de temps avec elle (elle est morte en 2005). Après sa mort, des choses qu’elle m’avait dites me sont revenues à l’esprit à propos des relations entre les mères et leurs filles. Ma grand-mère était une personne formidable, mais vraiment une forte tête, elle avait donc beaucoup d’histoires à raconter qui m’ont inspirée quand j’ai écrit Les Oreilles de Buster.
P. : Vous avez un talent particulier pour comprendre et faire comprendre les sentiments profonds des personnages, la densité des relations qu’ils entretiennent, ce qu’ils sont vraiment au fond d’eux-mêmes. Quel est votre secret ?
M. E. : Merci beaucoup de dire ça ! C’est peut-être parce que j’ai toujours été quelqu’un qui sait écouter. Les gens se sont toujours confiés à moi, pour certaines raisons, et j’étais heureuse quand je pouvais leur donner des conseils qui soient capables de les aider. Ça a toujours été comme ça, depuis que je suis toute petite. Du coup, je pense que j’ai toujours vécu dans un monde un peu imaginaire. J’ai observé, regardé et écouté, et ainsi les histoires ont commencé à tourner dans ma tête.
P. : Dans votre précédent roman, c’est la lecture d’une lettre qui déclenche tout. Cette fois, c’est l’acte d’écrire qui est le révélateur. Cette idée de l’écrit, c’est important pour vous ?
M. E. : Je sais de ma propre expérience (de mes propres romans) qu’écrire est la clé de la créativité. J’ai déjà essayé de posséder une histoire toute prête dans ma tête avant de commencer à écrire, mais ça n’a jamais marché. J’ai besoin de m’asseoir et d’écrire pour que les idées surviennent. Ce processus, mains, tête, idées, je pense que c’est à la base de l’être humain. Pourquoi gardons-nous des lettres que nous devrions jeter ? Pourquoi autant de personnes éprouvent-elles le besoin urgent d’écrire ? C’est très simple et très humain, cela répond à un vrai besoin, et c’est aussi un acte libérateur. C’est pourquoi je reviens toujours à l’exercice d’écriture, à l’acte d’écrire.